Imaginez des millions de puits pétroliers abandonnés, vestiges d’une ère fossile, qui jonchent le sous-sol américain comme autant de cicatrices environnementales. Et si, au lieu de représenter un danger latent, ces structures devenaient soudainement des sources d’énergie propre ? C’est précisément l’idée audacieuse qu’une jeune entreprise texane met en œuvre avec une technologie aussi fascinante que prometteuse.
Eclipse Energy : la startup qui fait manger le pétrole aux microbes pour produire de l’hydrogène
Dans un contexte où la transition énergétique s’accélère, les solutions innovantes pullulent. Pourtant, peu d’entre elles parviennent à transformer un problème hérité du passé en opportunité concrète pour l’avenir. Eclipse Energy, spin-off de la société Cemvita, relève ce défi en misant sur la biotechnologie appliquée aux ressources souterraines.
Le principe est aussi simple qu’ingénieux : injecter des micro-organismes sélectionnés dans des puits épuisés pour qu’ils consomment les résidus pétroliers encore présents et libèrent, en retour, de l’hydrogène gazeux. Un gaz beaucoup plus fluide que le pétrole brut, donc bien plus facile à extraire.
Un problème colossal à l’échelle mondiale
Aux États-Unis seulement, on estime à près de trois millions le nombre de puits pétroliers et gaziers abandonnés. Beaucoup contiennent encore des quantités significatives d’hydrocarbures, mais leur exploitation traditionnelle n’est plus rentable. Les compagnies préfèrent les sceller et passer à autre chose.
Ces installations posent toutefois de sérieux risques : fuites de méthane, contamination des nappes phréatiques, émissions diffuses de gaz à effet de serre. Leur remise en état coûte cher et les fonds dédiés manquent souvent. Eclipse Energy propose une approche radicalement différente : plutôt que de dépenser pour obturer ces puits, pourquoi ne pas les rendre productifs à nouveau ?
Ils ont tout essayé. Il reste encore énormément de pétrole en place.
Prab Sekhon, CEO d’Eclipse Energy
Cette citation illustre parfaitement la frustration des opérateurs traditionnels face à ces réserves inaccessibles. Mais là où l’industrie pétrolière voit une fin de cycle, la startup voit un gisement d’opportunités pour l’hydrogène.
Comment fonctionnent ces microbes “mangeurs de pétrole” ?
La nature offre déjà des indices précieux. Dans les réservoirs pétroliers, certains micro-organismes vivent naturellement à l’interface entre l’eau et l’huile. Ils métabolisent les hydrocarbures en produisant divers composés, dont parfois de l’hydrogène.
Eclipse Energy a passé plusieurs années à isoler et sélectionner les souches les plus efficaces. Ces microbes sont ensuite introduits dans le puits où ils se mettent au travail : ils cassent les longues chaînes moléculaires du pétrole pour en extraire l’hydrogène.
Le processus génère deux principaux produits : de l’hydrogène gazeux qui remonte facilement à la surface, et du dioxyde de carbone. Une partie de ce CO2 reste dissoute dans le réservoir, l’autre peut être capturée et soit séquestrée, soit valorisée.
- Les microbes consomment les hydrocarbures résiduels.
- Ils libèrent H2 et CO2 comme sous-produits.
- L’hydrogène, très fluide, migre naturellement vers la tête de puits.
- Le CO2 partiellement piégé réduit l’empreinte carbone globale.
Cette approche biologique présente un avantage décisif : elle ne nécessite ni fracturation hydraulique ni injection massive de produits chimiques. Elle s’appuie sur des mécanismes naturels optimisés en laboratoire.
Une démonstration réussie et un partenariat stratégique
L’été dernier, Eclipse Energy – alors encore connue sous le nom Gold H2 – a validé sa technologie sur un site réel dans le bassin de San Joaquin, en Californie. Les résultats ont convaincu les équipes techniques et ouvert la voie à une expansion rapide.
Dès janvier prochain, les premiers projets commerciaux à grande échelle démarreront grâce à un partenariat exclusif avec Weatherford International, géant des services pétroliers. Cette collaboration transforme Weatherford en bras opérationnel d’Eclipse Energy pour déployer la solution à l’international.
Ce choix stratégique n’est pas anodin. Weatherford apporte son expertise mondiale en forage, maintenance et logistique souterraine. L’alliance entre une startup biotech agile et un acteur établi de l’industrie pétrolière pourrait accélérer considérablement l’adoption de la technologie.
Un hydrogène compétitif et à faible empreinte carbone
L’objectif économique est ambitieux : produire de l’hydrogène à environ 0,50 dollar par kilogramme. Ce prix le mettrait au même niveau que l’hydrogène gris issu du reformage du gaz naturel, mais avec une empreinte carbone bien inférieure.
Pour comparaison, l’hydrogène vert produit par électrolyse reste souvent au-dessus de 3 à 5 dollars le kilo, même si les coûts baissent rapidement. La solution d’Eclipse Energy pourrait donc devenir l’une des plus compétitives du marché, surtout pour des applications industrielles lourdes.
| Type d’hydrogène | Coût approximatif ($/kg) | Émissions CO2 |
| Hydrogène gris (reformage gaz) | 0,50 – 1,50 | Élevées |
| Hydrogène bleu (avec capture) | 1,50 – 3,00 | Modérées |
| Hydrogène vert (électrolyse) | 3,00 – 8,00 | Faibles |
| Hydrogène Eclipse Energy | ~0,50 | Très faibles |
Ce tableau simplifié montre le positionnement potentiellement disruptif de la technologie. Un hydrogène à la fois bon marché et relativement propre pourrait séduire les industries pétrochimiques, les raffineries ou encore les producteurs d’engrais.
Les implications environnementales et sociétales
Au-delà de la production d’énergie, cette innovation transforme radicalement la perception des puits abandonnés. Au lieu d’être des passifs coûteux et dangereux, ils deviennent des actifs productifs contribuant à la décarbonation.
C’est prendre une responsabilité et la transformer en actif énergétique propre.
Prab Sekhon, CEO d’Eclipse Energy
Cette vision résonne particulièrement dans les régions pétrolières traditionnelles comme le Texas, le Dakota du Nord ou l’Oklahoma. Elle offre une voie de reconversion pour les travailleurs et les infrastructures existantes, évitant le choc brutal d’une fermeture pure et simple.
En séquestrant une partie du CO2 produit et en évitant les émissions de méthane liées aux puits non entretenus, la technologie contribue activement à la lutte contre le réchauffement climatique.
Les défis techniques et réglementaires à venir
Malgré les premiers succès, plusieurs obstacles restent à franchir. La variabilité des réservoirs pétroliers implique d’adapter les souches microbiennes à chaque site. Les performances à long terme doivent être confirmées sur plusieurs années.
Le cadre réglementaire constitue un autre enjeu majeur. Les autorités américaines commencent seulement à définir les règles pour l’injection de micro-organismes dans les sous-sols. La séparation et le transport de l’hydrogène produit nécessitent aussi des infrastructures adaptées.
- Adaptation microbienne site par site.
- Monitoring à long terme des réservoirs.
- Certification de l’hydrogène comme “propre”.
- Développement de chaînes d’approvisionnement locales.
- Acceptabilité sociale dans les communautés pétrolières.
Ces défis ne sont pas insurmontables, surtout avec le soutien d’un partenaire comme Weatherford. Ils soulignent néanmoins que le chemin vers une commercialisation massive reste semé d’embûches.
Eclipse Energy dans l’écosystème des startups climat
La startup s’inscrit dans un mouvement plus large de climate tech qui cherche à réutiliser les infrastructures fossiles pour la transition énergétique. On pense notamment aux projets de stockage de CO2 dans les réservoirs épuisés ou à la géothermie dans d’anciens puits.
Ce qui distingue Eclipse Energy, c’est son approche biologique et son potentiel économique élevé. En visant un coût équivalent à l’hydrogène gris, elle pourrait court-circuiter une partie du débat sur la compétitivité des énergies propres.
Les investisseurs suivent le dossier de près. Issu de Cemvita – elle-même soutenue par des fonds spécialisés dans l’énergie et la biotech – Eclipse Energy bénéficie déjà d’une crédibilité technique solide.
Perspectives d’avenir pour cette technologie disruptive
Si les premiers déploiements commerciaux confirment les promesses, la technologie pourrait s’étendre bien au-delà des États-Unis. Canada, Moyen-Orient, Mer du Nord, Russie : partout où des puits abandonnés existent, le potentiel est immense.
À plus long terme, on peut imaginer des améliorations génétiques des microbes pour augmenter les rendements ou cibler des réservoirs spécifiques. La combinaison avec d’autres procédés de capture carbone pourrait même rendre la production neutre, voire négative en carbone.
Enfin, cette innovation rappelle une vérité essentielle : la transition énergétique ne passe pas forcément par la destruction des infrastructures existantes, mais souvent par leur réinvention intelligente. Eclipse Energy incarne cette philosophie avec une élégance biotechnologique rare.
Dans un monde qui cherche désespérément des solutions scalables et abordables pour décarboner l’économie, cette startup texane pourrait bien avoir trouvé une partie de la réponse. Reste à transformer l’essai en succès industriel planétaire.
Une chose est sûre : l’histoire de l’énergie est en train de s’écrire sous nos pieds, grâce à des organismes invisibles à l’œil nu mais capables de changer la donne.