Imaginez un monde où votre simple requête à ChatGPT fait autant consommer d’électricité qu’une petite ville. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est la réalité qui arrive à grands pas. Selon le dernier rapport de BloombergNEF, la consommation électrique des data centers va exploser de près de 300 % d’ici 2035. Derrière cette courbe vertigineuse se cache une opportunité colossale pour les entrepreneurs qui sauront transformer cette contrainte en business.
Le choc des chiffres qui fait trembler les réseaux électriques
40 gigawatts aujourd’hui. 106 gigawatts en 2035. Ces deux chiffres résument à eux seuls l’ampleur du phénomène. Pour vous donner une idée, 106 GW représentent à peu près la consommation électrique annuelle de toute la Belgique. Et ce n’est pas une prévision alarmiste sortie de nulle part : elle repose sur les projets déjà annoncés par les géants du cloud et de l’IA.
Ce qui frappe, c’est la taille des nouveaux sites. Actuellement, seulement 10 % des data centers dépassent les 50 MW. Demain, la majorité des nouveaux centres dépasseront les 100 MW, et un quart seront des monstres de plus de 500 MW. Quelques-uns atteindront même le gigawatt – l’équivalent d’une centrale nucléaire.
« Les projets en phase préliminaire ont plus que doublé entre début 2024 et début 2025 »
BloombergNEF, décembre 2025
Pourquoi une telle accélération en seulement huit mois ?
La réponse tient en trois lettres : IA. L’entraînement des grands modèles de langage et l’inférence en temps réel sont incroyablement gourmands en calcul. Le taux d’utilisation moyen des data centers va passer de 59 % à 69 %, et l’IA représentera près de 40 % de la charge totale. Autrement14 dit, chaque nouveau modèle plus puissant que le précédent justifie la construction de plusieurs campus entiers de serveurs.
Les zones les plus touchées : l’Amérique profonde et… l’Europe ?
Les terrains bon marché et les incitations fiscales poussent les hyperscalers vers des zones rurales. Aux États-Unis, la région PJM (Pennsylvanie, Virginie, Ohio…) et le Texas ERCOT concentrent l’essentiel des annonces. En Europe, l’Irlande, les Pays-Bas, la Francfort allemande et plus récemment l’Espagne et le Portugal attirent les investissements massifs.
Mais il y a un hic : les réseaux électriques locaux n’ont jamais été conçus pour absorber de telles pointes. Le régulateur américain Monitoring Analytics a même déposé une plainte contre PJM pour avoir autorisé des raccordements sans garantie de fiabilité. En Europe, plusieurs projets ont déjà été repoussés de plusieurs années faute de capacité sur le réseau haute tension.
Les trois grands défis techniques à résoudre d’urgence
- Refroidissement : un data center de 100 MW rejette autant de chaleur qu’un petit volcan. Les systèmes classiques air/air arrivent à leurs limites.
- Efficacité énergétique : le PUE (Power Usage Effectiveness) moyen doit descendre sous 1,2 contre 1,5 aujourd’hui.
- Approvisionnement local : impossible d’attendre 7 à 10 ans pour un nouveau réacteur nucléaire. Il faut des solutions immédiates.
Et c’est là que les startups entrent en scène
Ce mur énergétique n’est pas seulement un problème : c’est le plus beau terrain de jeu qu’ait connu la deeptech depuis vingt ans. Des centaines de millions de dollars de CAPEX sont à prendre pour ceux qui apporteront des solutions concrètes, déployables rapidement et rentables dès le premier MW.
Le refroidissement liquide : la ruée vers l’or du XXIe siècle
Le refroidissement par immersion ou par contact direct devient la norme. Des startups comme Iceotope (Royaume-Uni), Asperitas (Pays-Bas) ou la française Submer lèvent des dizaines de millions pour industrialiser leurs cuves où les cartes mères baignent littéralement dans un diélectrique non conducteur.
Résultat ? Un PUE qui tombe à 1,03 et une densité de calcul multipliée par dix. Microsoft a déjà converti plusieurs de ses sites Azure à cette technologie et annonce vouloir généraliser d’ici 2027.
L’énergie fatale et la récupération de chaleur
Pourquoi gaspiller la chaleur fatale des serveurs alors qu’elle peut chauffer des logements, des serres ou des piscines ? La startup suédoise Awarm a déjà signé avec Meta pour réutiliser 100 % de la chaleur d’un data center de 60 MW au Danemark. En France, Qarnot fait tourner ses calculateurs directement dans des radiateurs connectés chez les particuliers depuis 2010 et lève actuellement pour attaquer le marché des hyperscalers.
Les microgrids et le stockage massif
Quand le réseau public ne suit plus, la solution consiste à créer son propre réseau. Enchant Energy, Crusoe Energy ou la française Jimmy Energy déploient des micro-centrales nucléaires modulaires (SMR) ou gaz derrière les data centers. L’idée : garantir une alimentation 24/7 sans dépendre du réseau national.
En parallèle, le stockage par batterie devient incontournable pour lisser les pointes. Tesla Megapack truste les contrats, mais des concurrents comme Fluence, Northvolt ou la pépite française Nawa Technologies (ultra-condensateurs) grignotent des parts de marché.
| Technologie | Gain énergétique | Startups phares |
| Refroidissement par immersion | PUE 1,03-1,08 | Submer, Iceotope, LiquidStack |
| Récupération de chaleur | 100 % réutilisable | Awarm, Qarnot, Deep Green |
| SMR / microgrids | Disponibilité 99,999 % | Jimmy Energy, Last Energy |
| Stockage batterie | Lissage des pointes | Nawa, Northvolt Power |
Ce que cela signifie concrètement pour les entrepreneurs français
La France a plusieurs atouts majeurs : un mix électrique déjà très décarboné (nucléaire + hydro), des ingénieurs thermiques de premier plan, et des aides publiques généreuses via France 2030. Résultat : plusieurs pépites se positionnent sur des niches ultra-rentables.
- 2CRSi (Strasbourg) conçoit des serveurs optimisés pour le refroidissement liquide et vient d’annoncer un contrat avec un grand nom américain.
- Stimergy lève pour industrialiser ses chaudières numériques qui chauffent les immeubles.
- Equinix teste en région parisienne des solutions françaises avant de les déployer mondialement.
Le message est clair : celui qui résout ne serait-ce que 5 % du problème énergétique des data centers peut construire une licorne en moins de cinq ans.
Conclusion : la plus grande opportunité deeptech de la décennie
Oui, la croissance effrénée des data centers pose un défi colossal aux réseaux électriques. Mais elle crée surtout un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars pour les technologies d’efficacité énergétique, de refroidissement et de production décentralisée.
Les entrepreneurs qui comprendront que le vrai goulot d’étranglement de l’IA n’est plus le GPU mais le kilowattheure ont devant eux la plus belle fenêtre d’opportunité depuis l’invention du cloud. Le train est en gare. Il ne reste plus qu’à monter dedans.