Imaginez une femme qui quitte un fonds VC prestigieux pour créer une équipe de foot féminine à Los Angeles, avec Natalie Portman et Serena Williams comme associées. Tout le monde pense qu’elle est folle. Cinq ans plus tard, cette même équipe vaut 250 millions de dollars et inspire la création du premier fonds d’investissement exclusivement dédié au sport féminin. Cette femme existe : elle s’appelle Kara Nortman.
Kara Nortman, la visionnaire qui a vu venir l’explosion du sport féminin
Quand Angel City FC voit le jour en 2020, le marché du sport féminin pèse à peine 500 millions de dollars dans le monde. Les investisseurs traditionnels haussent les épaules. Pourtant, Kara Nortman, alors partenaire chez Upfront Ventures, décide de tout plaquer pour co-fonder le club. Le pari était énorme : prouver qu’on pouvait gagner de l’argent – beaucoup d’argent – avec du foot féminin.
Et ça a marché. Dès la première saison, Angel City signe 30 millions de dollars de revenus, vend tous ses matchs et casse tous les records de sponsoring pour une franchise féminine. Résultat ? En 2024, Bob Iger (ex-PDG de Disney) et sa femme Willow Bay rachètent la majorité du club pour 250 millions de dollars – la valorisation la plus élevée jamais vue pour une équipe féminine.
Monarch Collective : le premier fonds 100 % sport féminin
Forte de ce succès, Kara Nortman lance en 2023 Monarch Collective, un fonds de 250 millions de dollars entièrement dédié au sport féminin. Objectif : répliquer le modèle Angel City à l’échelle mondiale.
Le fonds a déjà pris des parts dans quatre clubs :
- San Diego Wave (NWSL)
- Boston Legacy FC (arrive en 2026)
- FC Viktoria Berlin (38 % – première investissement étranger dans un club allemand féminin)
- Et bien sûr, une participation résiduelle dans Angel City FC
« Le marché mondial du sport masculin représente 500 milliards de dollars. Celui du sport féminin était à 500 millions quand on a commencé. Il approche aujourd’hui les 3 milliards. »
Kara Nortman
Pourquoi ça marche enfin ? Une approche radicalement différente
Le secret d’Angel City et de Monarch ? Ne pas copier bêtement le modèle masculin. Kara Nortman l’explique très bien : les femmes attirent d’autres sponsors, d’autres activations, d’autres expériences.
Quelques exemples qui ont fait école :
- Des parachutages de coffrets Sephora dans le stade
- Une « Fenty Cam » lors des matchs du New York Liberty pour se maquiller en direct
- Une soirée Hello Kitty à Los Angeles où la marchandise part en quelques minutes
- Des collaborations avec Nike, DoorDash, ou encore des marques de beauté jamais vues dans le sport masculin
Résultat : Angel City génère plus de revenus par spectateur que la majorité des franchises MLS masculines.
Un modèle d’investissement hybride entre VC et private equity
Monarch Collective ne se contente pas d’écrire des chèques. Le fonds prend des positions significatives (souvent minoritaires mais influentes) et met les mains dans le cambouis : gouvernance, recherche de sponsors, stratégie média, merchandising.
Kara Nortman parle d’une approche « venture-like markets » avec une gestion de risque « growth equity / private equity ». Traduction : on investit comme un VC mais on sécurise comme un fonds de LBO.
| Type d’investissement | Monarch Collective | Fonds VC classique |
| Nombre de deals | Une poignée | Dizaines |
| Implication opérationnelle | Très forte | Faible |
| Horizon | 10-15 ans | 5-7 ans |
| Objectif | Rentabilité opérationnelle + revenus média | Exit rapide |
Les chiffres qui donnent le vertige
Le sport féminin n’est plus une niche caritative. C’est devenu un marché en hyper-croissance :
- La WNBA a signé un contrat médias de 2,2 milliards de dollars sur 11 ans (soit x5 par rapport à l’ancien)
- La NWSL vise 240 millions de dollars de droits TV d’ici 2030
- Les audiences de la dernière Coupe du Monde féminine ont dépassé celles de nombreux tournois masculins
- Les franchises NWSL valent aujourd’hui entre 50 et 250 millions de dollars (contre 5-10 M$ il y a cinq ans)
Et pourtant, le marché reste ridiculement sous-valorisé comparé au sport masculin.
Attention aux faux départs : la leçon de l’histoire
Kara Nortman le répète souvent : le sport féminin a déjà connu des « moments » qui se sont éteints. L’exemple le plus frappant ? En 1920, 60 000 personnes remplissent un stade à Liverpool pour voir les Dick, Kerr Ladies. L’année suivante, la fédération anglaise interdit le foot féminin pendant cinquante ans.
« Tout le monde se réveille tous les quatre ans et redécouvre le sport féminin. Cette fois, on construit les fondations pour que ça dure. »
Kara Nortman
Aujourd’hui, Monarch mise sur la solidité : bonne gouvernance de ligue, propriétaires engagés sur le long terme, investissements dans les infrastructures, lien réel avec les communautés locales.
Et demain ? Basketball, tennis, golf… et bien plus
Monarch Collective ne se limite pas au foot. Le fonds regarde tous les sports qui passent le test du « no product-market risk » : est-ce que les gens ont envie de regarder ça à la télé ou sur leur téléphone ?
Dans le viseur :
- Basketball féminin (WNBA en explosion grâce à Caitlin Clark, Angel Reese, etc.)
- Tennis féminin (qui génère déjà plus de revenus que le masculin sur certains tournois)
- Golf féminin (avec la montée en puissance de joueuses comme Nelly Korda)
Le fonds a déjà attiré des LPs prestigieux : Melinda French Gates, d’anciens dirigeants de Netflix, des fortunes tech californiennes. Et la demande continue de grimper.
Ce qu’il faut retenir
Kara Nortman n’a pas simplement créé une équipe ou un fonds. Elle a démontré qu’on pouvait appliquer les méthodes du venture capital à un secteur entier qui dormait depuis un siècle. Et surtout, elle a prouvé que quand on traite les athlètes femmes comme des stars et leurs supporters comme des consommatrices premium, l’argent suit – et en masse.
Le sport féminin n’est plus une cause. C’est devenu l’une des plus belles opportunités d’investissement de la décennie.
Et quelque chose nous dit que Monarch Collective n’a pas fini de faire parler de lui.
