Imaginez un monde où la puissance des processeurs continue de doubler tous les deux ans, comme l’avait prédit Gordon Moore il y a plus de cinquante ans. Cette loi, qui a drivé l’explosion technologique depuis les années 70, commence pourtant à montrer des signes d’essoufflement. Et si une startup américaine, pilotée par une légende de l’industrie, détenait la clé pour la relancer ?
C’est l’ambition folle de xLight, une jeune pousse qui attire tous les regards en cette fin 2025. Avec un financement gouvernemental massif et le soutien de Pat Gelsinger, l’ancien patron d’Intel, elle promet de bouleverser la lithographie, ce processus crucial dans la fabrication des puces électroniques.
xLight : La nouvelle espoir pour la loi de Moore
Pat Gelsinger n’a pas chômé depuis son départ forcé d’Intel fin 2024. Rejoint comme associé chez Playground Global, un fonds venture spécialisé dans le deep tech, il s’est rapidement concentré sur une pépite de son portefeuille : xLight. Cette startup développe une technologie révolutionnaire basée sur des lasers à électrons libres, capables de produire une lumière ultraviolette extrême bien plus précise que les systèmes actuels.
Pourquoi tant d’enthousiasme ? Parce que la lithographie représente environ la moitié des investissements dans l’industrie des semi-conducteurs. C’est elle qui détermine jusqu’où l’on peut miniaturiser les transistors. Or, les outils dominés par le néerlandais ASML approchent de leurs limites physiques.
xLight propose une approche radicalement différente : traiter la lumière comme une utilité, à l’image de l’électricité ou de la climatisation dans une usine.
Une technologie venue des laboratoires nationaux
À la tête de xLight, on trouve Nicholas Kelez, un profil atypique dans le monde des semi-conducteurs. Avant de fonder la société, il a passé plus de vingt ans à construire des installations scientifiques de grande échelle, notamment au SLAC et au Lawrence Berkeley National Laboratory. Il a même été ingénieur en chef pour le Linac Coherent Light Source, une source de lumière cohérente basée sur un accélérateur linéaire.
Cette expertise en physique des accélérateurs de particules est au cœur du projet. xLight veut construire des machines gigantesques – environ 100 mètres sur 50 – installées à l’extérieur des fabs de semi-conducteurs. Ces installations produiront une lumière EUV à des longueurs d’onde aussi fines que 2 nanomètres, contre 13,5 nanomètres pour les systèmes actuels.
Nous traitons la lumière comme une utilité, comme l’électricité ou la climatisation. On construit à l’échelle d’une centrale à l’extérieur de la fab et on distribue ensuite.
Nicholas Kelez, fondateur de xLight
Cette vision rompt avec le modèle intégré d’ASML, où la source de lumière est incorporée directement dans chaque machine de lithographie. Selon Kelez, c’est précisément cette contrainte qui limite la puissance et la miniaturisation possible.
Un soutien gouvernemental historique
Le 1er décembre 2025, xLight a annoncé un accord préliminaire avec le Département du Commerce américain pour un financement pouvant atteindre 150 millions de dollars. Plus remarquable encore : le gouvernement deviendra actionnaire significatif de la société, sans pour autant obtenir de droits de veto ou de siège au conseil.
C’est la première attribution majeure du Chips and Science Act sous la seconde administration Trump. Un choix qui illustre la volonté américaine de reprendre la main sur la chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs, domaine où la dépendance vis-à-vis de l’Asie est devenue critique pour la sécurité nationale.
Pat Gelsinger, qui occupe le poste de président exécutif de xLight, n’a pas caché avoir personnellement présenté le projet à Howard Lutnick, le secrétaire au Commerce, dès février 2025. Pour lui, ce type d’intervention étatique est nécessaire face à la concurrence internationale.
Beaucoup de nos pays concurrents n’ont pas ce débat. Ils avancent avec les politiques nécessaires pour atteindre leurs objectifs compétitifs.
Pat Gelsinger
Il cite souvent l’exemple de l’énergie : zéro réacteur nucléaire en construction aux États-Unis contre trente-neuf en Chine. Pour Gelsinger, dans une économie numérique dopée à l’IA, la capacité énergétique et technologique détermine la puissance économique d’une nation.
Pourquoi maintenant ? Le timing parfait
ASML avait exploré une approche similaire il y a une décennie avant d’abandonner. À l’époque, la technologie n’était pas assez mature et l’industrie venait d’investir des dizaines de milliards dans la lithographie EUV classique.
Aujourd’hui, la situation a changé. L’EUV est devenu omniprésent dans la production de puces avancées, mais ses limites apparaissent clairement. Les fondeurs comme TSMC, Intel ou Samsung peinent à descendre sous les 2 nanomètres avec les outils existants.
- La technologie des accélérateurs de particules a considérablement progressé.
- Les besoins en puissance de calcul explosent avec l’intelligence artificielle.
- La géopolitique pousse à relocaliser les technologies critiques aux États-Unis.
- Le modèle « lumière comme utilité » devient économiquement viable à grande échelle.
xLight ambitionne de produire ses premiers wafers en silicium d’ici 2028 et d’avoir un système commercial opérationnel en 2029. Un calendrier ambitieux, mais réaliste selon ses dirigeants.
Une concurrence qui s’organise
xLight n’est pas seul sur ce créneau stratégique. En octobre 2025, Substrate, une startup soutenue par Peter Thiel, a levé 100 millions de dollars pour développer des fabs américaines, y compris un outil EUV qui semble proche de la vision de xLight.
Pat Gelsinger minimise la concurrence directe. Pour lui, si Substrate réussit, elle pourrait même devenir cliente de xLight, car elle aura besoin d’une source de lumière puissante – exactement ce que propose sa startup.
Plus surprenant : xLight collabore activement avec ASML et ses fournisseurs comme Zeiss pour assurer la compatibilité de sa technologie avec les scanners existants. Une stratégie pragmatique qui vise à compléter plutôt qu’à remplacer immédiatement le géant néerlandais.
Un modèle économique différent des moonshots
Contrairement aux startups de fusion nucléaire ou d’informatique quantique qui brûlent des milliards, xLight affirme pouvoir avancer avec des montants plus raisonnables. La société a déjà levé 40 millions de dollars auprès d’investisseurs dont Playground Global et prépare une nouvelle levée en janvier 2026.
Un accord préliminaire a également été signé avec l’État de New York pour construire la première machine sur le site New York CREATE près d’Albany, renforçant l’ancrage américain du projet.
Ce positionnement « pas trop capital-intensif » est un atout majeur dans un contexte où les investisseurs deviennent plus prudents avec les technologies deep tech à très long horizon.
Les débats éthiques et philosophiques
L’interventionnisme du gouvernement Trump dans xLight soulève des questions dans la Silicon Valley traditionnelle, attachée aux principes du libre marché. Le gouverneur de Californie Gavin Newsom s’est publiquement interrogé : « Qu’est-il arrivé à l’entreprise libre ? »
Pat Gelsinger balaie ces critiques d’un revers de main. Pour lui, les entreprises doivent naviguer les politiques quel que soit le bord politique, tant qu’elles servent leurs objectifs et leurs actionnaires.
Les PDG et les entreprises ne devraient être ni républicains ni démocrates. Votre job est d’accomplir les objectifs business et de servir vos investisseurs.
Pat Gelsinger
Il assure que les contribuables américains feront une bonne affaire avec cet investissement, le gouvernement étant positionné comme actionnaire minoritaire sans droits particuliers.
Pat Gelsinger : une seconde vie dans le venture
À 68 ans, Pat Gelsinger reste un bourreau de travail. S’il affirme avoir rendu ses week-ends à son épouse, ceux qui le connaissent en doutent. Chez Playground Global, il travaille sur une dizaine de startups, mais xLight accapare clairement une large part de son attention.
Cette nouvelle vie lui permet d’influencer un spectre bien plus large de technologies qu’à la tête d’Intel. « Je suis un gars de la deep tech au fond de moi », confie-t-il. L’opportunité de faire progresser la loi de Moore à travers une startup agile semble le galvaniser.
Son départ d’Intel, après avoir tenté une restructuration massive face à la concurrence de TSMC et Nvidia, reste une blessure. xLight représente une forme de rédemption : la possibilité de prouver que sa vision à long terme pour l’industrie américaine des semi-conducteurs était la bonne.
Les implications pour l’industrie mondiale
Si xLight réussit, les conséquences seraient immenses. Les États-Unis pourraient rattraper une partie de leur retard en technologies de fabrication avancées. Les coûts de production pourraient baisser grâce à des sources de lumière plus puissantes et plus efficaces.
L’intelligence artificielle, qui demande des quantités colossales de calcul, bénéficierait directement d’une nouvelle vague d’accélération hardware. Les data centers, les véhicules autonomes, la défense, la recherche scientifique : tous les secteurs high-tech en seraient transformés.
- Relance potentielle de la loi de Moore au-delà des limites physiques actuelles
- Renforcement de la souveraineté technologique américaine
- Possible baisse des coûts de production des puces avancées
- Nouvelle dynamique concurrentielle face à ASML et TSMC
- Accélération de l’innovation en IA et calcul haute performance
Mais le chemin reste semé d’embûches techniques. Construire des accélérateurs de particules fiables à l’échelle industrielle n’a rien d’évident. La distribution de la lumière dans les fabs sans perte de qualité représente un défi majeur.
Conclusion : un pari audacieux sur l’avenir
xLight incarne parfaitement les tensions actuelles de l’industrie technologique : entre innovation pure et réalités géopolitiques, entre libre marché et interventionnisme stratégique, entre vision à long terme et pressions court-termistes.
Avec Pat Gelsinger à ses côtés et le soutien du gouvernement américain, la startup a les moyens de ses ambitions. Reste à transformer cette promesse technologique en réalité industrielle. Si elle y parvient, elle pourrait bien marquer l’histoire des semi-conducteurs au même titre qu’Intel l’a fait en son temps.
Dans un monde où l’intelligence artificielle redéfinit les équilibres de pouvoir, la maîtrise des technologies de fabrication de puces n’a jamais été aussi cruciale. xLight nous rappelle que les plus grandes avancées naissent souvent à l’intersection de la science fondamentale, de l’audace entrepreneuriale et, parfois, d’une bonne dose de politique industrielle.