Imaginez un navire qui, tout en sillonnant les mers, transforme ses propres émissions de CO₂ en une matière première essentielle pour la construction. Cette vision futuriste est devenue réalité grâce à une startup britannique audacieuse, Seabound, qui repousse les limites de l’innovation dans le transport maritime. En équipant un bateau transporteur de ciment, l’UBC Cork, d’un système de capture du carbone, cette entreprise propose une solution concrète pour réduire l’impact environnemental de deux industries notoirement polluantes : le transport maritime et la production de ciment.
Une Révolution dans le Transport Maritime
Le transport maritime représente environ 3 % des émissions mondiales de CO₂, tandis que la production de ciment en génère près de 8 %. Ces deux secteurs, essentiels à l’économie mondiale, sont confrontés à des défis colossaux pour réduire leur empreinte carbone. Seabound, une startup basée à Londres, a relevé ce défi avec une technologie novatrice qui capture le dioxyde de carbone des gaz d’échappement des navires et le transforme en calcaire, un ingrédient clé du ciment.
Installé sur l’UBC Cork, un navire de 5 700 tonnes appartenant au groupe Hartmann et géré par InterMaritime, ce système utilise une technologie appelée boucle de calcium. Le CO₂ est capturé à l’aide d’hydroxyde de calcium, qui réagit chimiquement pour former du carbonate de calcium, ou calcaire. Ce matériau est ensuite stocké à bord et déchargé au port de Brevik, en Norvège, où il est utilisé par l’usine de ciment net zéro de Heidelberg Materials.
Comment Fonctionne la Technologie de Seabound ?
Le système de Seabound est une prouesse d’ingéniosité. Contrairement aux solutions traditionnelles de capture du carbone, qui nécessitent des équipements lourds et complexes pour liquéfier le CO₂, cette technologie est conçue pour être compacte et adaptable. Elle s’intègre directement dans les cheminées d’échappement des moteurs diesel, capturant jusqu’à 95 % du CO₂ et 98 % des émissions de soufre. Le processus est simple mais efficace :
- Les gaz d’échappement sont redirigés vers un conteneur rempli de galets d’hydroxyde de calcium.
- Le CO₂ réagit avec ce matériau pour former du carbonate de calcium, un solide stable.
- Le calcaire est stocké à bord jusqu’à l’arrivée au port, où il est déchargé pour être utilisé dans la production de ciment.
Cette approche est non seulement innovante, mais aussi pratique. Elle ne nécessite pas de modifier les moteurs existants, ce qui en fait une solution de rénovation accessible pour les armateurs confrontés aux nouvelles réglementations environnementales.
Nous démontrons comment la capture du carbone à bord peut accélérer la réduction des émissions dans les secteurs à forte intensité carbone.
Alisha Fredriksson, PDG et co-fondatrice de Seabound
Un Partenariat Stratégique pour un Impact Maximal
Le projet de Seabound ne serait pas possible sans une collaboration étroite avec des acteurs clés de l’industrie. En s’associant avec Hartmann Group, InterMaritime, et Heidelberg Materials, la startup a trouvé le terrain idéal pour déployer sa technologie. L’usine de Brevik, qui capture déjà 400 000 tonnes de CO₂ par an, est un pionnier mondial dans la production de ciment net zéro. Le calcaire produit à bord de l’UBC Cork est directement intégré dans ce processus, créant un cycle circulaire unique.
Ce partenariat illustre une vision partagée : transformer les déchets en ressources. Comme l’explique Lars Erik Marcussen, responsable logistique chez Heidelberg Materials :
Le transport de ciment est très polluant. Le système de Seabound nous offre une voie claire pour réduire ces émissions de scope 3 tout en valorisant le CO₂ capturé.
Lars Erik Marcussen, Heidelberg Materials
En intégrant le calcaire capturé dans la production de ciment, Heidelberg Materials non seulement réduit ses émissions, mais renforce également l’économie circulaire au sein de sa chaîne d’approvisionnement.
Pourquoi Cette Innovation Est-Elle Cruciale ?
Le transport maritime et l’industrie du ciment sont confrontés à des pressions croissantes pour se décarboner. L’Organisation Maritime Internationale (OMI) a fixé des objectifs ambitieux : une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035, et jusqu’à 65 % d’ici 2040. Ces réglementations, combinées à l’introduction d’un prix mondial du carbone pouvant atteindre 380 $ par tonne de CO₂, incitent les armateurs à adopter des solutions immédiates.
Contrairement à d’autres technologies, comme les carburants alternatifs tels que l’ammoniac ou l’hydrogène, qui nécessitent des modifications coûteuses des navires, la solution de Seabound est réalisable à court terme. Elle permet aux armateurs de respecter les normes sans remplacer leurs flottes, tout en générant une matière première précieuse pour l’industrie du ciment.
| Secteur | Part des émissions mondiales | Défi principal |
| Transport maritime | 3 % | Manque de carburants alternatifs viables |
| Production de ciment | 8 % | Émissions liées aux réactions chimiques |
Les Défis à Relever
Malgré ses promesses, la technologie de Seabound fait face à certains obstacles. L’un des principaux défis est la production d’hydroxyde de calcium à faible empreinte carbone. Actuellement, la fabrication de ce matériau peut générer des émissions qui réduisent les bénéfices environnementaux du système. Seabound travaille avec des producteurs de chaux pour développer des solutions plus durables, notamment en installant des fours à chaux écologiques près des ports.
Un autre défi concerne l’évolutivité. Bien que le système ait prouvé son efficacité sur l’UBC Cork, son application à des navires plus grands ou à des trajets plus longs reste à démontrer. Seabound prévoit d’atteindre une capture de 100 millions de tonnes de CO₂ par an d’ici 2040, soit environ 10 % des émissions mondiales du transport maritime. Cet objectif ambitieux nécessitera une adoption massive par les armateurs et une infrastructure portuaire adaptée.
Un Premier Pas Vers un Avenir Durable
Seabound n’est pas une solution isolée, mais un catalyseur pour une transformation plus large. En combinant capture du carbone et production de matériaux, la startup montre qu’il est possible de repenser les industries polluantes de manière circulaire. Le projet de l’UBC Cork n’est que le début : Seabound travaille déjà sur des systèmes à grande échelle pour la flotte de Hartmann, avec pour objectif d’équiper des centaines, voire des milliers de navires d’ici 2030.
Le succès de cette initiative repose également sur le soutien de programmes comme Eurostars, qui finance des projets innovants dans le cadre d’Horizon Europe. Ce type de collaboration entre startups, industries et gouvernements est essentiel pour accélérer la transition vers une économie net zéro.
Et Après ? L’Avenir de la Décarbonation Maritime
Le projet de Seabound ouvre la voie à une nouvelle génération de navires qui ne se contentent pas de transporter des marchandises, mais contribuent activement à la lutte contre le changement climatique. En transformant les émissions en ressources, cette technologie redéfinit le rôle du transport maritime dans la chaîne de valeur environnementale.
D’autres entreprises, comme Amogy, explorent des solutions basées sur l’ammoniac, mais ces approches nécessitent des investissements massifs et des délais plus longs. En attendant, Seabound offre une solution immédiate et évolutive, capable de répondre aux besoins urgents de l’industrie tout en s’intégrant dans les infrastructures existantes.
En conclusion, l’innovation de Seabound sur l’UBC Cork est bien plus qu’une prouesse technologique : elle incarne une vision où les industries polluantes deviennent des acteurs de la durabilité. En transformant le CO₂ en calcaire, ce navire prouve que les déchets d’aujourd’hui peuvent devenir les ressources de demain. Alors que les pressions réglementaires s’intensifient et que la demande pour des solutions durables croît, Seabound pourrait bien redessiner l’avenir du transport maritime et de la production de ciment.
