Imaginez un secteur qui fixe un objectif audacieux pour dans dix ans… et qui le dépasse avant même l’échéance. C’est exactement ce qui vient de se produire dans le domaine du stockage d’énergie aux États-Unis. Alors que l’industrie visait 35 gigawatts de batteries connectées au réseau d’ici fin 2025, plus de 40 gigawatts sont déjà en place, et l’année n’est pas terminée.
Cette performance exceptionnelle transforme radicalement le paysage énergétique américain. Les batteries ne sont plus un complément marginal : elles deviennent un pilier essentiel du réseau électrique, soutenant l’intégration massive des énergies renouvelables.
Une croissance explosive qui redéfinit le réseau électrique
Il y a près d’une décennie, quand le marché du stockage était encore balbutiant, une organisation sectorielle avait lancé ce défi : atteindre 35 GW de capacité installée d’ici 2025. À l’époque, cela paraissait visionnaire, presque utopique.
Aujourd’hui, la réalité dépasse largement cette ambition. Au seul troisième trimestre 2025, 4,7 gigawatts de batteries ont été mis en service. Le total cumulé franchit allègrement la barre des 40 GW. Cette accélération place le stockage parmi les principales sources de nouvelle puissance sur le grid américain.
Ce qui impressionne particulièrement, c’est la part prise par le stockage dans les ajouts de capacité renouvelable. Entre juillet et septembre, les batteries représentaient près de la moitié des nouvelles installations renouvelables. Et sur l’ensemble de l’année, les énergies vertes dominent largement les ajouts de puissance, selon les données de la Federal Energy Regulatory Commission.
Les régions pionnières et leurs leçons
La majorité de ces déploiements massifs se concentre dans trois États : l’Arizona, la Californie et le Texas. Ces régions ont été les premières à ressentir la pression sur leurs réseaux électriques, entre pics de demande et intégration croissante du solaire et de l’éolien.
Les solutions déployées là-bas servent aujourd’hui de modèle. Les opérateurs ont appris à optimiser l’utilisation des batteries pour stabiliser le réseau, décaler la consommation et éviter les blackouts. Ces expériences pratiques sont précieuses pour d’autres zones en tension, comme le Midwest ou la côte Est, où l’explosion des data centers met les infrastructures sous pression.
Les experts soulignent que ces déploiements régionaux démontrent la maturité technologique du stockage. Ce qui fonctionnait à petite échelle il y a quelques années s’industrialise désormais à grande vitesse.
Redwood Materials : du recyclage à la seconde vie des batteries
Parmi les acteurs qui profitent de cette vague, Redwood Materials se distingue particulièrement. Fondée par JB Straubel, ancien cofondateur de Tesla, l’entreprise était initialement spécialisée dans le recyclage des batteries.
En observant les packs qui arrivaient dans ses usines, l’équipe a constaté un phénomène intéressant : de nombreuses batteries de véhicules électriques conservaient encore une capacité significative après leur première vie. Parallèlement, la demande explosive en stockage stationnaire offrait une opportunité évidente.
Résultat : en juin 2025, Redwood Materials a lancé une nouvelle division dédiée à la réutilisation de ces batteries pour des applications grid-scale. L’objectif est ambitieux : déployer 20 gigawatt-heures de stockage d’ici 2028.
Les investisseurs ont immédiatement validé cette stratégie, injectant 350 millions de dollars supplémentaires pour accélérer ce développement.
Observation du marché par Redwood Materials
Cette approche circulaire présente plusieurs avantages. Elle réduit les besoins en matières premières neuves, baisse les coûts et prolonge la durée de vie utile des batteries lithium-ion. Un modèle qui allie rentabilité et responsabilité environnementale.
Base Power et le concept de centrale virtuelle résidentielle
Une autre startup adopte une stratégie radicalement différente : Base Power, basée à Austin, mise sur l’agrégation de batteries domestiques.
Le principe est simple mais puissant. L’entreprise loue des systèmes de stockage aux particuliers, puis regroupe ces unités décentralisées en une vaste centrale virtuelle. Cette flotte peut alors répondre aux besoins du réseau texan, particulièrement sollicité.
En octobre 2025, Base Power a levé un milliard de dollars. Ces fonds serviront à construire une usine de batteries et à étendre les opérations au-delà du Texas. Déjà, plus de 100 mégawatt-heures sont déployés chez les clients.
Ce modèle de virtual power plant gagne en popularité. Il transforme les consommateurs en acteurs actifs du réseau, tout en offrant aux ménages une résilience accrue face aux coupures.
- Installation gratuite ou à faible coût pour le particulier
- Rémunération via la participation au marché de l’énergie
- Stabilisation du réseau à grande échelle
- Extension possible à d’autres régions
Au-delà du lithium-ion : les technologies alternatives émergentes
Si les batteries lithium-ion dominent actuellement les nouvelles installations, plusieurs startups explorent des voies alternatives prometteuses. L’objectif : réduire encore les coûts et adapter le stockage à des durées plus longues.
Sizable Energy développe une solution originale : des réservoirs flexibles flottants en pleine mer pour stocker l’énergie sous forme d’air comprimé ou hydraulique. Cette approche pourrait exploiter l’immense espace océanique tout en minimisant l’impact terrestre.
Fourth Power mise sur le stockage thermique. L’entreprise utilise des blocs de carbone chauffés à très haute température pour conserver l’énergie sous forme de chaleur. Le système promet un coût inférieur aux batteries lithium-ion et même aux centrales gaz à pic. Premier déploiement prévu en 2028.
XL Batteries revitalise la technologie des flow batteries. En s’installant sur des sites pétrochimiques existants, la startup utilise les infrastructures de stockage pour déployer des systèmes capables de centaines de mégawatt-heures. Une approche pragmatique qui accélère les déploiements.
Enfin, Cache Energy propose une solution chimique innovante : des pellets de hydroxyde de calcium capables de stocker l’énergie pendant des mois avec des pertes minimes. Une technologie qui pourrait révolutionner le stockage saisonnier.
| Startup | Technologie | Avantage principal | Horizon |
| Redwood Materials | Seconde vie batteries EV | Réduction coûts et matières | 20 GWh en 2028 |
| Base Power | Centrale virtuelle résidentielle | Agrégation décentralisée | Expansion post-2025 |
| Sizable Energy | Réservoirs flottants océaniques | Utilisation espace marin | En développement |
| Fourth Power | Stockage thermique carbone | Coût très compétitif | Déploiement 2028 |
| XL Batteries | Flow batteries sur sites existants | Grande échelle rapide | Installations en cours |
| Cache Energy | Pellets hydroxyde calcium | Stockage long terme | En développement |
Les implications pour le futur énergétique
Cette explosion du stockage n’est pas un phénomène isolé. Associées au solaire et à l’éolien – qui restent les sources d’électricité neuve les moins chères – les batteries ont le potentiel de bouleverser les marchés énergétiques mondiaux.
En permettant de stocker l’énergie produite quand elle est abondante pour la restituer aux moments de pointe, elles rendent les renouvelables plus fiables et compétitives. Les anciennes centrales à combustible fossile deviennent progressivement obsolètes.
Pour les investisseurs, le message est clair : le stockage représente l’un des segments les plus dynamiques de la transition énergétique. Les levées de fonds records de Redwood Materials et Base Power en témoignent.
Du côté des régulateurs et opérateurs de réseau, l’enjeu consiste à adapter les marchés et les règles pour valoriser pleinement les services rendus par les batteries : régulation de fréquence, arbitrage temporel, capacité de réserve.
Pourquoi cette accélération maintenant ?
Plusieurs facteurs convergent pour expliquer cette croissance fulgurante. La chute spectaculaire des prix des batteries lithium-ion – divisés par plus de 10 en quinze ans – rend les projets rentables même sans subventions massives.
Les contraintes physiques sur certains réseaux créent une demande urgente. En Californie ou au Texas, les batteries sont souvent la solution la plus rapide et la moins chère pour renforcer la résilience.
Enfin, la maturité technologique atteint un point d’inflexion. Les premiers grands projets ont démontré leur fiabilité, rassurant financiers et opérateurs.
- Baisse continue des coûts des batteries
- Pressions croissantes sur les réseaux régionaux
- Retours d’expérience positifs des projets pionniers
- Politiques favorables dans plusieurs États
- Intérêt croissant des investisseurs spécialisés
Cette combinaison crée un cercle vertueux : plus de projets se concrétisent, plus les coûts baissent, plus les déploiements s’accélèrent.
Perspectives pour les années à venir
Si 2025 marque déjà un tournant, les projections pour la décennie prochaine sont vertigineuses. De nombreux analystes prévoient un multiplication par dix ou plus de la capacité mondiale de stockage d’ici 2030-2035.
Cette expansion sera portée à la fois par l’amélioration continue des technologies lithium-ion et par l’arrivée à maturité des alternatives longue durée. Le mix technologique se diversifiera selon les besoins : court terme pour la régulation, long terme pour le stockage saisonnier.
Les startups présentées ici ne sont que la partie émergée d’un écosystème bouillonnant. Des dizaines d’autres entreprises travaillent dans l’ombre sur des innovations qui pourraient changer la donne.
Une chose est certaine : le stockage d’énergie n’est plus une technologie d’avenir. C’est une réalité industrielle qui redessine dès aujourd’hui la carte énergétique mondiale.
En dépassant si largement ses objectifs de 2025, l’industrie américaine envoie un signal fort au reste du monde. La transition vers un système électrique décarboné, résilient et abordable est non seulement possible, mais déjà en marche accélérée.
Pour les entrepreneurs, les investisseurs et les décideurs politiques, le message est clair : le train du stockage est lancé à pleine vitesse. Il est temps de monter à bord.