Imaginez : votre enfant passe des heures à construire des mondes colorés, à jouer avec ses amis du monde entier… et du jour au lendemain, tout disparaît. Plus d’accès. Écran noir. En Russie, c’est exactement ce qui vient d’arriver à des millions de jeunes joueurs de Roblox.

Le 3 décembre 2025, l’agence russe de régulation des communications (Roskomnadzor) a purement et simplement bloqué la plateforme. Et la raison avancée laisse songeur : la présence de contenus jugés « extrémistes », notamment liés à la communauté LGBTQ+.

Roblox en Russie : une histoire qui s’arrête brutalement

Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut d’abord mesurer ce que représentait Roblox dans le paysage numérique russe.

Selon les données d’Appfigures, l’application a été téléchargée plus de 70 millions de fois sur les appareils mobiles russes depuis son lancement. Rien que sur l’année 2025, on comptait encore 8 millions d’installations. Autant dire que Roblox faisait partie du quotidien de toute une génération.

La plateforme, souvent comparée à un « Minecraft social », permet à n’importe qui de créer ses propres jeux et expériences. Des simulations militaires aux espaces de discussion arc-en-ciel, tout cohabitait… jusqu’à ce que cela dérange.

Le motif officiel : la loi anti « propagande LGBTQ+ »

Depuis 2022, la Russie a étendu sa législation contre la « propagande » des « relations sexuelles non traditionnelles » aux adultes. En novembre 2023, la Cour suprême a même qualifié le « mouvement international LGBT » d’organisation extrémiste. Conséquence logique : toute représentation positive de l’homosexualité devient illégale.

Or Roblox, par nature ouvert et créatif, hébergeait des expériences explicites de soutien à la communauté LGBTQ+ : drapeaux arc-en-ciel, groupes de discussion safe, événements Pride virtuels… Pour le pouvoir russe, c’était intolérable.

« La plateforme contenait des matériaux promouvant des valeurs non traditionnelles »

Extrait du communiqué relayé par l’agence TASS

Mais est-ce vraiment la seule raison ?

Beaucoup d’observateurs y voient une excuse commode. Roblox n’est pas la première plateforme occidentale à être éjectée du Runet.

  • Instagram et Facebook : bloqués depuis 2022
  • Twitter (devenu X) : fortement limité
  • YouTube : ralentissements récurrents
  • LinkedIn : banni depuis 2016
  • Et maintenant Roblox…

Le schéma est clair : toute plateforme qui échappe au contrôle total des autorités finit par être neutralisée. Roblox, entreprise américaine cotée en bourse, n’a évidemment aucune envie de se plier aux exigences de censure russe.

Les problèmes de sécurité ont-ils joué un rôle ?

Paradoxalement, Roblox traverse en ce moment une crise majeure de modération partout dans le monde.

Aux États-Unis, plusieurs enquêtes ont révélé que des prédateurs sexuels utilisaient la plateforme pour approcher des mineurs. Des plaintes ont été déposées au Texas et en Louisiane. Roblox a réagi en annonçant, dès janvier 2026, la vérification faciale obligatoire pour accéder au chat.

La Russie aurait très bien pu utiliser cet argument… mais non. Elle a préféré brandir la carte morale traditionnelle. Preuve que l’enjeu n’est pas la protection de l’enfance, mais bien le contrôle idéologique.

Les développeurs dans la tourmente

En parallèle du blocage russe, Roblox a demandé à ses créateurs de signaler les expériences traitant de sujets « sensibles » (politique, religion, questions sociales). Objectif : permettre aux parents d’en restreindre l’accès aux moins de 13 ans.

Résultat ? Une levée de boucliers immédiate.

« Considérer l’égalité salariale dans le sport comme un sujet sensible est profondément problématique »

Open letter signée par Out Making Games, Women in Games, BAME in Games

Des associations ont accusé Roblox de légitimer la discrimination sous prétexte de protection parentale. Ironique, quand on sait que c’est exactement le reproche fait à la Russie.

Que vont faire les joueurs russes maintenant ?

Comme toujours en pareil cas, les solutions de contournement existent déjà.

  • VPN (bien que de plus en plus surveillés)
  • APK miroirs sur des sites tiers
  • Miroirs DNS ou serveurs privés (risqués)
  • Passage à des alternatives locales comme VK Play ou des clones chinois

Mais pour les enfants et adolescents sans carte bancaire ou connaissances techniques, c’est souvent la fin brutale d’un loisir quotidien.

Et Roblox dans tout ça ?

Contactée par plusieurs médias, l’entreprise n’a pas souhaité commenter le blocage russe. Stratégie classique : ne pas légitimer la décision en y répondant publiquement.

Financièrement, l’impact sera limité : la Russie ne représente qu’une petite fraction des 70+ millions d’utilisateurs quotidiens. Symboliquement, en revanche, c’est une nouvelle claque pour une entreprise qui se veut « safe and civil ».

Vers une balkanisation d’Internet ?

Cet événement n’est qu’un épisode de plus dans la grande fragmentation du web.

La Chine a son Great Firewall. La Russie construit son « Internet souverain ». L’Inde censure par à-coups. L’Europe impose le DMA et le DSA. Les États-Unis menacent TikTok…

À chaque fois, ce sont les plateformes créatives et ouvertes qui trinquent en premier. Car elles sont, par essence, impossibles à contrôler totalement.

Le mot de la fin

Le ban de Roblox en Russie n’est pas qu’une anecdote gaming. C’est le symptôme d’un monde où la liberté d’expression numérique rétrécit comme peau de chagrin.

Demain, ce sera peut-être une autre plateforme, un autre pays, une autre « bonne raison » morale ou sécuritaire. Et pendant ce temps, des millions d’enfants perdent un espace d’imagination et de lien social qui ne reviendra pas.

Triste fin d’année pour le métavers des kids.

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Steven Soarez
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