Imaginez un monde où un seul gardien décide quelles applications vous pouvez installer sur votre téléphone, et prélève une taxe sur chaque euro que vous dépensez dedans. Ce n’est pas de la science-fiction : c’est la réalité de l’App Store d’Apple. Et aujourd’hui, une startup suisse spécialisée dans la protection de la vie privée vient de déclencher une bataille juridique qui pourrait tout faire basculer.
Proton Contre Apple : Le Procès qui Secoue l’Écosystème Mobile
Le 30 juin 2025, Proton, l’entreprise derrière les services chiffrés comme Proton Mail ou Proton Drive, a déposé une plainte contre Apple au tribunal fédéral de Californie du Nord. Ce n’est pas une simple procédure : c’est une attaque frontale contre ce que Proton qualifie de monopole illégal dans trois domaines cruciaux : les smartphones, la distribution d’applications et le traitement des paiements in-app.
Pourquoi maintenant ? Parce que les développeurs en ont assez. Les commissions de 30 % (ou 15 % pour les petits) ne sont plus vues comme un simple coût d’exploitation, mais comme des tarifs artificiels sur le commerce numérique. Proton va plus loin : il compare ces frais à des barrières douanières imposées à l’ensemble d’internet.
Les Trois Monopoles Accusés par Proton
Pour comprendre l’ampleur de la plainte, il faut décortiquer les trois marchés où Apple est accusé de dominer abusivement.
- Smartphones premium : Apple contrôle plus de 70 % du marché américain des téléphones haut de gamme.
- Distribution iOS : L’App Store est la seule porte d’entrée légale pour installer une application sur iPhone.
- Paiements in-app : Tout achat numérique passe obligatoirement par le système d’Apple, avec sa commission.
Cette triple domination crée ce que les juristes appellent un effet de verrouillage : les utilisateurs sont prisonniers, les développeurs sont captifs, et la concurrence est étouffée.
Le contrôle monopolistique d’Apple sur la distribution de logiciels sur iOS pose une myriade de problèmes pour les consommateurs, les entreprises et la société dans son ensemble.
Blog officiel de Proton
L’Héritage d’Epic Games : Une Victoire à Demi-Teinte
Ce n’est pas la première fois qu’Apple fait face à la justice. Le procès Epic Games, qui a duré des années, reste une référence incontournable. Rappel des faits : Epic avait contourné l’App Store avec son propre système de paiement dans Fortnite, entraînant le retrait du jeu par Apple.
Le verdict ? Apple n’a pas été déclaré monopole – un précédent que la firme de Cupertino brandit comme un bouclier. Mais il y a eu une brèche : le juge a ordonné à Apple de permettre aux développeurs américains de rediriger vers leurs sites web pour les paiements, sans commission.
Proton s’appuie sur cette faille. Les preuves du procès Epic ont montré qu’Apple réalise des marges bénéficiaires colossales sur l’App Store – bien au-delà de ce qui serait nécessaire pour maintenir la plateforme. Traduction : les 30 % ne servent pas à financer la sécurité, mais à engraisser les actionnaires.
Ce qui distingue Proton ? Son modèle économique repose sur les abonnements payants, pas sur la publicité. Résultat : aucun intérêt à monétiser vos données. C’est cette philosophie qui entre en collision frontale avec le modèle extractif d’Apple.
Les Frais d’Apple : Taxe ou Racket ?
Le cœur du problème ? Les commissions. Quand un utilisateur paie 9,99 € pour un abonnement Proton via l’App Store, Apple empoche 3 € (ou 1,50 € après un an). Sur des millions d’utilisateurs, cela représente des dizaines de millions détournés.
Proton dénonce plusieurs pratiques abusives :
| Pratique | Conséquence pour le développeur | 
| Interdiction de communiquer les prix web dans l’app | Impossible d’informer d’une réduction de 40 % sur le site | 
| Obligation d’utiliser Apple Pay | Commission même sur les abonnements existants | 
| Menace de retrait de l’app | Si refus du système de paiement Apple | 
Pire : la gestion des abonnements devient cauchemardesque. Un client qui upgrade sur le web ne peut pas downgrade depuis iOS. C’est une expérience utilisateur dégradée imposée par les règles d’Apple.
Quand l’App Store Devient un Outil de Censure
Voici l’argument le plus explosif de Proton : l’App Store unique est une arme aux mains des dictatures. Pour opérer en Chine ou en Russie, Apple doit se plier aux exigences locales et retirer des applications.
Exemples concrets :
- En 2021, Apple retire des apps de contournement de censure en Russie.
- En Chine, des milliers d’apps VPN disparaissent sur ordre du gouvernement.
- Proton VPN menacé de retrait pour avoir mentionné « débloquer les sites censurés ».
Conséquence ? Un développeur européen subit les lois d’un régime autoritaire. Votre liberté d’expression dépend de la politique d’Apple en matière de conformité géographique.
Les lois anti-monopole existent parce que le pouvoir conféré par le statut de monopole mène inévitablement à l’abus.
Proton
Les Avantages Techniques Réservés à Apple
Proton pointe aussi du doigt les avantages techniques dont bénéficient les apps Apple au détriment des concurrents.
Cas concret avec Proton Calendar :
- iOS permet de changer l’app par défaut pour le navigateur, les emails, les appels…
- Mais pas pour le calendrier – l’app Apple reste prioritaire.
- Proton Drive ne peut pas fonctionner en arrière-plan comme iCloud.
Ces restrictions ne sont pas techniques : elles sont politiques. Apple décide qui a accès aux fonctionnalités profondes d’iOS, créant un terrain de jeu inégal.
Une Action Collective en Marche
Proton ne se bat pas seul. La plainte s’intègre à une class action plus large, rejointe par des développeurs coréens et d’autres acteurs. Ensemble, ils représentent des milliers d’applications affectées.
Les demandes sont claires :
- Ouvrir la distribution d’apps sur iOS (sideloading ou stores alternatifs).
- Autoriser les systèmes de paiement tiers sans pénalité.
- Verser des dommages et intérêts – que Proton promet de donner à des ONG pour la démocratie.
Ce dernier point est symbolique : Proton ne veut pas s’enrichir, mais créer un précédent pour toute l’industrie.
Les Précédents Européens : Le DMA Change la Donne
Si le procès se déroule aux États-Unis, l’Europe montre la voie. Le Digital Markets Act (DMA) impose déjà à Apple d’ouvrir iOS :
Depuis mars 2024, dans l’UE :
- Sideloading autorisé.
- Stores alternatifs comme AltStore ou Epic Games Store.
- Paiements tiers sans commission Apple.
Apple a dû créer une version « EU » d’iOS. Proton veut que cette ouverture devienne globale – et que les développeurs mondiaux en bénéficient, pas seulement les Européens.
Que Risque Apple Vraiment ?
Scénario catastrophe pour Apple : être forcé d’ouvrir iOS mondialement. Cela signifierait :
- Perte de milliards en commissions annuelles.
- Arrivée massive de stores concurrents.
- Érosion de l’effet « jardin clos » qui justifie le prix premium des iPhone.
Mais Apple a des arguments solides : sécurité, confidentialité, expérience unifiée. La firme répète que l’App Store protège les utilisateurs des malwares et des arnaques.
Proton répond : la sécurité ne justifie pas le monopole. D’autres plateformes (Windows, Android) permettent l’ouverture sans apocalypse sécuritaire.
Et les Utilisateurs dans Tout Ça ?
Vous, moi, tous les possesseurs d’iPhone. Si Proton gagne :
- Applications moins chères (pas de taxe Apple).
- Plus de choix dans les modes de paiement.
- Meilleure interopérabilité entre web et app.
- Moins de censure imposée par des régimes étrangers.
Mais il y a un revers : risque accru de malwares si le contrôle d’Apple s’effrite. Le débat sécurité vs liberté est relancé.
Proton : Business Model vs Idéologie
Proton n’est pas une ONG. C’est une entreprise qui réalise des dizaines de millions de chiffre d’affaires. Mais son modèle repose sur la confiance : si les utilisateurs doutent de sa capacité à protéger leur vie privée, c’est la mort.
La dépendance à l’App Store crée une vulnérabilité stratégique. Un changement de règle d’Apple, et des millions d’utilisateurs iOS deviennent inaccessibles. Ce procès est aussi une question de survie à long terme.
Les Prochains Épisodes de ce Feuilleton Judiciaire
Le chemin sera long. Apple va mobiliser ses avocats stars. Les motions vont s’empiler. Mais plusieurs éléments jouent en faveur de Proton :
- Le précédent Epic (même si partiel).
- La pression réglementaire mondiale (DMA, enquêtes antitrust).
- L’opinion publique favorable à plus de concurrence.
Prochain rendez-vous : la réponse d’Apple à la plainte, attendue dans les 60 jours. Le procès pourrait durer des années.
Ce que les Autres Géants du Tech en Pensent
Google observe avec attention : son Play Store est aussi dans le viseur. Meta, Spotify, tous les acteurs dépendants des stores mobiles retiennent leur souffle.
Une victoire de Proton créerait un effet domino. Imaginez un monde où Apple et Google doivent concurrencer sur l’ouverture, pas imposer leurs règles.
Conclusion : Vers un Internet Plus Libre ?
Ce procès n’est pas qu’une affaire de gros sous entre une startup suisse et un géant de 3 000 milliards. C’est un débat de société : qui contrôle votre téléphone ? Qui décide ce que vous pouvez installer, payer, dire ?
Proton ne se bat pas seulement pour ses marges. Il se bat pour un principe : l’internet doit rester ouvert. Et si Apple perd, ce sera peut-être le début d’une nouvelle ère pour le mobile – plus compétitive, plus respectueuse de la vie privée, moins centralisée.
À suivre. Très attentivement.
 
            
             
         
                