Imaginez : vous lancez une fusée avec des milliards en poche, vous visez la lune du quick commerce indien… et deux ans plus tard, vous redescendez calmement sur terre en déclarant que finalement, la lune, ce n’était pas la bonne cible. C’est exactement ce qu’a vécu PhonePe avec Pincode.
PhonePe ferme Pincode : la fin d’un rêve e-commerce
Le 5 décembre 2025, Sameer Nigam, patron emblématique de PhonePe, a annoncé la nouvelle sans détour : l’application Pincode, lancée en grande pompe en avril 2023, est définitivement arrêtée. Le site redirige désormais vers la page d’accueil de PhonePe. Rideau.
Ce n’est pas une petite décision. PhonePe, c’est plus de 550 millions d’utilisateurs enregistrés, le roi incontesté de l’UPI en Inde (plus de 50 % de part de marché), et une valorisation qui frôle les 13 milliards de dollars. Quand une telle machine recule, tout le secteur retient son souffle.
Rappel des faits : qu’était vraiment Pincode ?
Pincode n’était pas une énième application de livraison. Elle reposait sur un pari audacieux : utiliser le réseau public ONDC (Open Network for Digital Commerce) et les milliers de kirana stores (épiceries de quartier) comme entrepôts vivants. Pas de dark stores hors de prix, pas de flottes de livreurs surdimensionnées. L’idée : connecter directement le consommateur au commerçant du coin.
- Lancement en avril 2023 à Bengaluru
- Catégories initiales : courses, pharmacie, alimentaire, électronique, déco
- 2024 : recentrage progressif sur la nourriture et les médicaments
- Avril 2025 : promesse de livraison en 10 minutes dans 5 grandes villes
- Décembre 2025 : fermeture définitive
En à peine 20 mois, PhonePe a donc testé presque tous les modèles possibles dans l’e-commerce hyperlocal indien. Et pourtant… rien n’a fonctionné durablement.
Pourquoi ce fiasco ? Les vraies raisons derrière l’échec
Officiellement, Sameer Nigam parle d’une « distraction » par rapport à la mission première : aider les petits commerçants à se digitaliser. Mais entre les lignes, on lit autre chose.
« Opérer une application grand public de quick commerce est devenu une distraction par rapport à notre focus principal : les petits commerçants. »
Sameer Nigam, CEO de PhonePe
La réalité est plus brutale. Le quick commerce indien est un bain de sang financier. Zepto lève 665 millions à 5 milliards de valorisation, Blinkit (Zomato) brûle des centaines de millions par trimestre, Swiggy Instamart suit le même chemin. Tous misent sur une seule chose : atteindre la taille critique avant les autres pour ensuite augmenter les prix. Un jeu de poker menteur à plusieurs milliards.
PhonePe, malgré sa puissance de feu, n’a jamais réussi à décoller. Les chiffres ne sont pas publics, mais les observateurs estiment que Pincode représentait moins de 1 % du volume total du quick commerce indien. Trop peu, trop tard.
Le modèle ONDC-kirana : une belle idée… qui n’a pas marché
L’argument était pourtant séduisant : pourquoi construire des entrepôts quand on a déjà 12 millions de kirana stores ? Pourquoi payer des livreurs à plein temps quand les commerçants peuvent préparer les commandes eux-mêmes ?
Sur le papier, c’était génial. En pratique :
- Les kiranas n’ont pas la discipline logistique des dark stores
- Les délais de préparation explosent dès qu’il y a plus de 3 commandes simultanées
- Les clients veulent du choix et de la disponibilité immédiate, pas « hors stock » est inacceptable en 10 minutes
- Les marges pour le commerçant sont trop faibles pour justifier l’effort
Résultat : même avec la force de frappe marketing de PhonePe, l’expérience client restait inférieure à celle des pure players. Et dans le quick commerce, l’expérience client, c’est 90 % de la bataille.
Le vrai gagnant : les commerçants offline
Paradoxalement, Pincode n’a pas été un échec total. L’application a permis de digitaliser plus de 1 000 boutiques physiques à Bengaluru, Delhi, Mumbai, etc. Ces commerçants ont découvert les joies du catalogue numérique, de la gestion de stock en ligne et de la livraison dernier kilomètre.
PhonePe a donc décidé de transformer l’échec en opportunité. Toute l’équipe Pincode est réaffectée au développement d’une suite B2B complète pour les petits commerçants :
- Gestion d’inventaire en temps réel
- Commandes et facturation digitales
- Accès direct aux grossistes (replenishment)
- Outils de crédit (PhonePe Capital)
- Visibilité sur les plateformes ONDC et autres
En clair, PhonePe ne veut plus être Uber Eats. Il veut devenir le Square + Shopify + QuickBooks des 60 millions de petits commerçants indiens. Beaucoup plus rentable, beaucoup moins risqué.
Un timing qui interroge : l’IPO approche
PhonePe a déposé confidentiellement ses documents pour une introduction en bourse prévue mi-2026. Dans ce contexte, tout projet qui brûle du cash sans visibilité de rentabilité devient un boulet.
En abandonnant Pincode, PhonePe envoie un signal clair aux investisseurs : « Nous savons dire non. Nous privilégions la profitabilité à la croissance à tout prix. » Un message que les marchés adorent, surtout après les déboires de Paytm ou de Nykaa.
Et maintenant ? Les grandes manœuvres de PhonePe
Avec Pincode derrière lui, PhonePe peut se concentrer sur ses vrais leviers de croissance :
| Activité | Part de marché | Potentiel |
| Paiements UPI | ~50 % | Dominant, monétisation via lending |
| Assurances | Croissance rapide | Marges élevées |
| Crédit aux PME | En forte accélération | Très rentable |
| Services B2B marchands | Nouveau focus | Énorme marché sous-pénétré |
Le modèle devient limpide : capter le flux financier de millions de commerçants, puis leur vendre tous les services dont ils ont besoin. Exactement ce qu’a fait PayPal aux États-Unis il y a vingt ans.
Leçons pour l’écosystème startup indien
Cet épisode Pincode nous rappelle trois vérités brutales :
- Être leader dans un domaine (paiements) ne garantit pas le succès dans un domaine adjacent (e-commerce)
- Le quick commerce est un sport de brûlage de cash réservé à ceux qui n’ont rien d’autre à perdre
- Parfois, le meilleur move stratégique est de savoir abandonner
PhonePe a préféré protéger sa marge et réputation plutôt que s’entêter dans une guerre perdue d’avance. Respect.
En 2025, savoir dire stop est peut-être la plus belle preuve d’intelligence entrepreneuriale.
Et vous, pensez-vous que d’autres géants indiens (Paytm, BharatPe…) devraient suivre l’exemple et recentrer leurs activités ? Laisser un commentaire, la discussion promet d’être animée.