Imaginez : vous posez une question technique sérieuse à ChatGPT sur le chiffrement BitLocker de Windows, et soudain, au milieu de la réponse, une suggestion alléchante pour faire du shopping chez Target ou s’abonner à Peloton. C’est exactement ce qui est arrivé à plusieurs abonnés payants début décembre 2025, déclenchant une vague de mécontentement sur les réseaux sociaux. OpenAI, habituée aux controverses, s’est retrouvée une fois de plus sous le feu des critiques.
OpenAI face à la colère des utilisateurs payants
Ce n’était pas censé être des publicités classiques. Selon l’entreprise, il s’agissait simplement de suggestions d’applications construites sur la plateforme ChatGPT, lancée en octobre 2025. Mais pour les utilisateurs, la distinction était floue. Une suggestion qui pousse à acheter chez une grande marque ressemble furieusement à une pub, surtout quand on paie déjà un abonnement Plus ou Pro.
Les captures d’écran ont rapidement circulé sur X (anciennement Twitter). L’une d’elles, partagée par Benjamin De Kraker, montrait clairement une recommandation pour Target intégrée dans une conversation technique. Le ton était sans équivoque : “Yeah, screw this. Lose all your users.” Des centaines d’autres abonnés ont exprimé le même sentiment de trahison.
La réponse rapide mais contrastée des dirigeants
Nick Turley, responsable de ChatGPT, a d’abord tenté de calmer le jeu en affirmant qu’il n’y avait aucun test publicitaire en cours et que les captures circulant étaient soit fausses, soit mal interprétées. Il a promis une approche réfléchie si la publicité devait un jour arriver.
“There are no live tests for ads – any screenshots you’ve seen are either not real or not ads. If we do pursue ads, we’ll take a thoughtful approach.”
Nick Turley, responsable ChatGPT
Mais c’est Mark Chen, chief research officer d’OpenAI, qui a adopté le ton le plus conciliant. Reconnaissant ouvertement l’erreur, il a déclaré que l’entreprise avait désactivé ce type de suggestions le temps d’améliorer la précision du modèle et de proposer de meilleurs contrôles aux utilisateurs.
“I agree that anything that feels like an ad needs to be handled with care, and we fell short. We’ve turned off this kind of suggestion while we improve the model’s precision.”
Mark Chen, chief research officer OpenAI
Cette réponse contrastée illustre bien la difficulté pour OpenAI de communiquer sur des sujets sensibles. D’un côté, une défense technique ferme ; de l’autre, une reconnaissance publique des manquements.
Un contexte interne tendu
Derrière cette polémique se cache une réalité plus large. OpenAI traverse une période de forte pression interne. Selon le Wall Street Journal, Sam Altman a récemment déclaré un “code red”, priorisant l’amélioration de la qualité de ChatGPT au détriment d’autres projets, y compris le développement d’un modèle publicitaire.
L’arrivée de Fidji Simo, ex-dirigeante d’Instacart et Facebook, comme CEO des Applications, avait pourtant fait naître des spéculations sur une future monétisation publicitaire. Mais la qualité du produit semble redevenir la priorité absolue face à la concurrence accrue de modèles open-source et de rivaux comme Anthropic ou Google.
Cette décision de mettre en pause les suggestions ressemble donc à un recul stratégique autant qu’à une réponse aux plaintes.
Pourquoi ces suggestions ont-elles été perçues comme des pubs ?
La plateforme d’applications ChatGPT permet à des développeurs tiers de créer des outils intégrés directement dans l’interface. L’idée est séduisante : enrichir l’expérience en proposant des actions concrètes. Mais quand ces suggestions mettent en avant des marques grand public sans contexte clair, le doute s’installe.
- Manque de transparence sur l’origine des suggestions
- Absence de mention “sponsorisé” ou “promotionnel”
- Intégration trop fluide dans la conversation, rendant la distinction difficile
- Contexte inadapté (shopping proposé lors de questions techniques)
Ces éléments ont suffi à transformer une fonctionnalité bien intentionnée en source de frustration massive.
Les enjeux pour l’avenir de ChatGPT
Cette controverse soulève des questions profondes sur le modèle économique des IA conversationnelles. OpenAI a besoin de rentabilité : les coûts d’inférence des modèles comme GPT-4o sont colossaux. Les abonnements payants rapportent, mais pas assez pour couvrir l’ensemble des dépenses et des investissements.
La publicité semble inévitable à long terme. Pourtant, les utilisateurs de ChatGPT valorisent particulièrement l’expérience sans intrusion commerciale, perçue comme un refuge face aux réseaux sociaux saturés de pubs. Toute tentative de monétisation devra donc être extrêmement délicate.
D’autres pistes existent :
- Développement accru de l’API entreprise
- Partenariats premium avec des marques (intégrations clairement identifiées)
- Offres d’abonnement plus haut de gamme avec fonctionnalités exclusives
- Monétisation via les applications tierces (commission sur transactions)
Mais chaque option comporte ses risques en termes d’image et de fidélisation.
La confiance, un capital précieux
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la rapidité avec laquelle la confiance peut s’effriter. ChatGPT s’est imposé comme un outil sérieux, presque magique, utilisé par des millions de professionnels, étudiants et créateurs. Une simple suggestion mal placée a suffi à remettre en cause cette perception.
Les réactions des utilisateurs montrent qu’ils attendent de l’IA conversationnelle une neutralité et une utilité pure. Toute déviation vers le commercial est vécue comme une trahison, surtout de la part des abonnés payants qui pensaient justement échapper à cela.
OpenAI semble l’avoir compris. Les promesses de meilleurs contrôles (possibilité de désactiver complètement les suggestions) et d’une précision accrue du modèle vont dans le bon sens.
Comparaison avec les concurrents
Google a intégré depuis longtemps la publicité dans ses produits, mais de manière clairement séparée (encarts “Annonce”). Meta et TikTok ont poussé la publicité native très loin. Dans le domaine des IA grand public, la plupart des acteurs évitent encore les pubs directes.
| Acteur | Publicité actuelle | Positionnement |
| ChatGPT (OpenAI) | Aucune (suggestions désactivées) | Expérience premium sans pub |
| Gemini (Google) | Aucune dans l’interface IA | Intégration possible future via Google Ads |
| Claude (Anthropic) | Aucune | Focus sécurité et utilité |
| Grok (xAI) | Aucune | Intégré à X Premium |
OpenAI se distingue par sa base d’utilisateurs payants importante, rendant toute introduction publicitaire plus risquée.
Vers une expérience plus personnalisable ?
L’une des pistes évoquées par Mark Chen est l’ajout de contrôles fins pour les utilisateurs. Pouvoir désactiver totalement les suggestions d’applications, ou les limiter à certains domaines (productivité, éducation, création), pourrait réconcilier fonctionnalité et sérénité.
Une interface de paramètres dédiée aux recommandations, avec des niveaux de proactivité (minimal, équilibré, maximal), serait une avancée bienvenue. Cela transformerait une source de frustration en un véritable atout différenciant.
Les utilisateurs professionnels, en particulier, apprécieraient de pouvoir travailler dans un environnement totalement épuré.
Conclusion : une leçon pour toute l’industrie
Cette polémique, bien que limitée dans le temps, révèle une vérité essentielle : dans l’univers des IA conversationnelles, la confiance est le bien le plus précieux. OpenAI a réagi rapidement en désactivant la fonctionnalité incriminée et en promettant des améliorations.
Mais l’incident servira de cas d’école. Toute entreprise cherchant à monétiser son IA grand public devra trouver l’équilibre parfait entre utilité, transparence et respect de l’utilisateur. Le chemin est étroit, mais incontournable.
En attendant, les abonnés ChatGPT peuvent respirer : leur assistant préféré reste, pour l’instant, un espace sans publicité intrusive. Et c’est peut-être cela, finalement, le vrai luxe à l’ère de l’intelligence artificielle.