Imaginez une centrale nucléaire qui tient dans un hangar d’usine, se fabrique en série comme une voiture et se livre par camion. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est exactement ce que viennent de financer les États-Unis à hauteur de 800 millions de dollars. Et le plus surprenant ? C’est l’administration Trump qui appuie sur l’accélérateur.
Le 3 décembre 2025, le Département de l’Énergie a annoncé deux méga-subventions de 400 millions chacune. Direction le Tennessee pour la Tennessee Valley Authority (TVA) et le Michigan pour Holtec International. Objectif : construire dès maintenant les premiers petits réacteurs modulaires (SMR) de nouvelle génération.
Les petits réacteurs modulaires : la révolution qui arrive enfin
Depuis vingt ans, on nous promet que les SMR vont tout changer. Plus petits, plus sûrs, moins chers grâce à la production en série. Pourtant, à ce jour, seuls deux exemplaires tournent dans le monde (en Chine et en Russie). Les États-Unis viennent de décider que cela suffisait.
Les deux projets retenus reposent sur des technologies déjà éprouvées, mais miniaturisées :
- Un réacteur BWRX-300 de GE Vernova Hitachi pour la TVA (300 MW)
- Deux réacteurs SMR-300 conçus par Holtec pour le site de Palisades, Michigan
Ces machines appartiennent à la famille des Generation III+, c’est-à-dire des évolutions très sécurisées des réacteurs qui fonctionnent déjà depuis des décennies. Leur particularité ? Elles sont dix fois plus petites qu’un réacteur classique de 1 000 MW.
Pourquoi maintenant ? L’explosion des besoins électriques
La réponse est simple : l’intelligence artificielle a faim. Très faim.
Microsoft, Google, Amazon et Meta construisent des data centers géants qui consomment autant d’électricité qu’une ville moyenne. Or le réseau américain commence à montrer des signes de faiblesse. Les énergies renouvelables, malgré leurs progrès fulgurants, restent intermittentes. Il faut une source pilotable, propre et disponible 24h/24.
« Nous avons besoin d’énergie abondante, fiable et décarbonée. Le nucléaire est la seule réponse crédible à l’échelle requise. »
Un dirigeant de Big Tech, sous couvert d’anonymat
Et c’est précisément ce que proposent les SMR : une production stable, avec un empreinte carbone quasi nulle une fois construits.
TVA + GE Vernova Hitachi : le géant public s’y met
La Tennessee Valley Authority n’est pas n’importe qui. Créée en 1933 sous Roosevelt, c’est le plus grand producteur public d’électricité des États-Unis. Elle alimente déjà 10 millions de personnes et possède… six réacteurs nucléaires en activité.
Le choix du BWRX-300 n’est pas anodin. Ce réacteur à eau bouillante simplifié reprend le design des réacteurs GE des années 70-80, mais avec :
- 70 % de composants en moins
- Une piscine de refroidissement passive (plus besoin de pompes en cas d’accident)
- Une construction prévue en seulement 36 mois
Le site retenu ? Clinch River, dans le Tennessee, où la TVA avait déjà obtenu en 2019 la première autorisation de construire un SMR aux États-Unis. Tout est prêt.
Holtec et le retour en grâce de Palisades
L’histoire de Holtec est encore plus spectaculaire.
Le site de Palisades, au bord du lac Michigan, devait fermer définitivement en 2022. Trop vieux, trop cher à maintenir. Et puis… revirement. En 2024, Holtec rachète la centrale, obtient un prêt d’un milliard de dollars pour redémarrer l’ancien réacteur (lire notre article du 18 novembre), et maintenant 800 millions supplémentaires pour ajouter deux SMR neufs à côté.
Le SMR-300 de Holtec est un réacteur à eau pressurisée classique, mais conçu dès le départ pour être fabriqué en usine. L’idée : produire les modules dans l’usine Holtec de Camden (New Jersey) puis les transporter par barge jusqu’au Michigan.
Les chiffres qui font tourner la tête
| Critère | Réacteur classique | SMR (BWRX-300 / SMR-300) |
| Puissance | 1 000 – 1 600 MW | 300 MW |
| Temps de construction | 7 à 12 ans | 3 à 4 ans |
| Coût estimé | 10 à 20 milliards $ | 1 à 2 milliards $ par unité |
| Surface au sol | Plusieurs centaines d’hectares | Moins de 10 hectares |
| Personnel d’exploitation | 800 à 1 000 personnes | Moins de 200 |
Et surtout : plus on en construit, plus le coût unitaire baisse. C’est la promesse de la série.
Un signal politique fort
Ce qui frappe, c’est la continuité. Ces subventions ont été lancées sous Biden, mais c’est l’administration Trump qui les débloque massivement. Le message est clair : le nucléaire n’est plus un sujet partisan aux États-Unis.
D’ailleurs, le même Département de l’Énergie a déjà :
- Prêté 1 milliard à Constellation pour relancer Three Mile Island Unit 1 (pour Microsoft)
- Financé Oklo, Kairos Power, TerraPower (Bill Gates), X-energy…
On assiste à une véritable course au déploiement.
Et l’Europe dans tout ça ?
Pendant ce temps, en Europe, on discute encore. La France mise toujours sur six EPR2 géants (coût : 67 milliards d’euros). Le Royaume-Uni a commandé des SMR Rolls-Royce… pour 2050. La Pologne, la République tchèque et la Roumanie regardent du côté américain.
Les États-Unis sont en train de prendre dix ans d’avance.
Ce que ça change pour les startups et les investisseurs
Ces 800 millions ne sont qu’un début. Les appels d’offres suivants risquent d’être encore plus massifs. Les startups du nucléaire (Oklo, Nano Nuclear, Last Energy, Newcleo…) voient leur valorisation exploser.
Et pour les investisseurs ? Le message est limpide : le nucléaire new-gen n’est plus une niche. C’est devenu un secteur stratégique, soutenu par l’État et porté par la demande insatiable des géants du numérique.
En résumé, les petits réacteurs modulaires ne sont plus une promesse. Ils sont en train de devenir réalité, et plus vite qu’on ne le pensait.
La prochaine décennie risque d’être nucléaire… ou ne pas être.