Imaginez que vous ouvrez WhatsApp demain matin et que votre chatbot préféré, celui que vous utilisez tous les jours pour résumer des articles ou générer des idées, a tout simplement disparu. Pas de bug, pas de panne : il a été purement et simplement éjecté par Meta. C’est exactement ce qui se prépare pour janvier 2026, et l’Europe vient de dire stop.
Jeudi 4 décembre 2025, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une enquête antitrust contre Meta. Au cœur du dossier : une modification discrète des conditions d’utilisation de l’API WhatsApp Business qui interdit purement et simplement l’accès aux chatbots d’intelligence artificielle grand public… sauf celui de Meta, bien entendu.
Quand Meta ferme la porte aux concurrents tout en gardant la clé pour lui
Revenons quelques mois en arrière. En octobre 2025, WhatsApp modifie ses conditions d’utilisation de son API Business. Le message est limpide : l’API n’a jamais été conçée pour distribuer des chatbots grand public. Résultat ? OpenAI, Perplexity, Poe, Character.AI et tous les autres devront quitter la plateforme dès janvier.
Mais il y a un détail qui change tout : les chatbots d’entreprise (service client, prise de rendez-vous, etc.) restent autorisés. Et surtout, Meta AI, le chatbot maison intégré directement dans WhatsApp, Instagram et Facebook, lui, n’est touché par aucune restriction.
Autrement dit : les concurrents dégagent, Meta reste. C’est ce que les juristes appellent un self-preferencing caractérisé.
« AI markets are booming in Europe and beyond. We must ensure European citizens and businesses can benefit fully from this technological revolution »
Teresa Ribera, Vice-présidente exécutive de la Commission européenne
Pourquoi l’Europe sort l’artillerie lourde si vite ?
Parce que cette affaire tombe pile au moment où Bruxelles durcit le ton contre les géants américains. Le Digital Markets Act (DMA), entré en application en 2024, désigne Meta comme gatekeeper – un gardien d’accès – et lui impose des obligations strictes de concurrence loyale.
Or, WhatsApp c’est 2 milliards d’utilisateurs dans le monde, dont plus de 300 millions en Europe. C’est tout simplement le canal de messagerie le plus utilisé sur le continent. Bloquer les chatbots concurrents sur une telle plateforme, c’est priver des millions d’Européens d’alternatives crédibles à Meta AI.
- WhatsApp représente plus de 80 % des messageries instantanées en Espagne, Italie et Allemagne
- Plus de 70 % des 18-35 ans européens déclarent utiliser quotidiennement l’application
- Meta AI est déjà préinstallé et activé par défaut dans les discussions
Autant dire que la position dominante est écrasante.
Les arguments de Meta (et pourquoi ils ne convainquent personne)
De son côté, WhatsApp se défend mollement. Un porte-parole a déclaré que « l’émergence de chatbots IA sur notre API Business met une pression sur nos systèmes qu’ils n’ont jamais été conçus pour supporter ».
Traduction : trop de requêtes, serveurs qui chauffent, on préfère limiter la casse.
Mais cet argument technique tient difficilement face à la réalité : Meta AI, lui, fonctionne parfaitement dans l’application. Et quand on sait que le modèle Llama 4 (qui alimente Meta AI) est l’un des plus gourmands du marché… la justification perd toute crédibilité.
Autre défense : « les utilisateurs ont plein d’autres moyens d’accéder aux IA concurrentes » (stores, web, etc.). Là encore, l’argument est bancal : quand vous êtes dans WhatsApp, vous êtes dans WhatsApp. Quitter l’application pour aller sur ChatGPT, c’est perdre le fil de la conversation, les pièces jointes, l’historique. C’est tout sauf fluide.
Que risque vraiment Meta ?
Si la Commission prouve l’abus de position dominante, les sanctions peuvent être extrêmement lourdes :
| Sanction possible | Montant maximal |
| Amende pour infraction au droit de la concurrence | 10 % du chiffre d’affaires mondial (soit environ 15 milliards de dollars pour Meta) |
| Mesures correctives imposées | Obligation d’ouvrir l’API à tous les chatbots IA sans discrimination |
| Mesures provisoires (dès 2026) | Suspension immédiate de la nouvelle politique le temps de l’enquête |
Et ce n’est pas tout. La Commission a déjà montré qu’elle n’hésitait plus à frapper fort : rappelons l’amende record de 4 milliards d’euros infligée à Google en 2018, ou les 2,4 milliards contre Meta en 2023 pour abus sur les données publicitaires.
Les startups IA européennes dans la tourmente
Derrière les géants, ce sont surtout les jeunes pousses européennes qui trinquent. Mistral AI, Aleph Alpha ou LightOn avaient toutes commencé à explorer l’intégration WhatsApp comme canal de distribution privilégié.
Pour une startup, être présent là où sont les utilisateurs – c’est-à-dire dans WhatsApp – change tout. C’est la différence entre 100 000 utilisateurs et 10 millions. La décision de Meta risque de freiner brutalement leur croissance sur le vieux continent.
Et pendant ce temps, Meta AI continue de récolter des données précieuses sur des centaines de millions d’Européens pour entraîner ses prochains modèles. Un cercle vicieux que Bruxelles veut briser.
Et après ? Trois scénarios possibles
- Le scénario du compromis
Meta accepte d’ouvrir son API à certains concurrents sous conditions strictes (limitation de requêtes, certification, etc.). L’Europe sauve la face, Meta garde un certain contrôle. - Le scénario du bras de fer
Meta refuse de plier. La Commission impose des mesures provisoires dès le printemps 2026 et l’affaire finit devant la Cour de justice de l’UE. Procédure longue, mais symbole fort. - Le scénario explosif
Bruxelles décide d’aller jusqu’au bout et force l’ouverture totale de WhatsApp aux chatbots tiers, comme elle l’a fait avec l’App Store d’Apple. Ce serait une révolution pour l’écosystème IA européen.
Une chose est sûre : cette enquête n’est que le début. D’autres plateformes (iMessage, Telegram, Signal) regardent avec attention. Si Meta perd, elles pourraient être les prochaines à devoir ouvrir leurs portes.
En attendant, une question nous brûle les lèvres : jusqu’où les géants du numérique pourront-ils encore verrouiller leurs jardins secrets avant que les régulateurs ne les obligent, une bonne fois pour toutes, à partager les clés ?
La réponse, on l’aura peut-être dès 2026. Et elle pourrait bien redessiner complètement la carte de l’intelligence artificielle en Europe.