Imaginez une salle immense à Helsinki, remplie de milliers d’entrepreneurs, d’investisseurs et de visionnaires qui échangent avec une énergie contagieuse. C’était l’ambiance au Slush le mois dernier. Pourtant, quand on regarde les chiffres du marché venture européen pour 2025, l’enthousiasme semble presque déconnecté de la réalité. Est-ce le calme avant la tempête d’une vraie reprise ?
Cet écart entre l’effervescence perçue et les données concrètes intrigue. L’Europe regorge de talents, d’innovations et d’ambitions globales, mais les investissements peinent encore à suivre le rythme des années fastes. Explorons ensemble ce paradoxe et les signaux qui laissent espérer un tournant imminent.
Le marché startup européen en 2025 : un bilan contrasté
Les chiffres ne mentent pas. Jusqu’au troisième trimestre 2025, les startups européennes ont attiré environ 43,7 milliards d’euros à travers plus de 7 700 deals. Cela place l’année sur une trajectoire similaire à 2024 et 2023, avec autour de 62 milliards d’euros au total. Pas de rebond spectaculaire, donc, contrairement aux États-Unis où le volume de deals a déjà dépassé les années précédentes.
Le vrai point noir ? La collecte de fonds par les fonds VC eux-mêmes. Seulement 8,3 milliards d’euros levés en neuf mois, ce qui pourrait mener à la plus faible année depuis une décennie. Les grands fonds de l’an dernier ne se répètent pas, et ce sont surtout les managers émergents qui portent l’activité.
La collecte de fonds, de LP vers GP, est clairement le maillon faible en Europe en ce moment.
Navina Rajan, analyste senior chez PitchBook
Pourquoi cette frilosité des investisseurs institutionnels ?
Plusieurs facteurs expliquent cette prudence. La réinitialisation mondiale du venture capital en 2022-2023 a laissé des traces. Les rendements passés décevants, combinés à un environnement macroéconomique incertain, poussent les limited partners à la retenue. En Europe, l’absence d’exits majeurs récents jusqu’à peu a renforcé cette méfiance.
Mais les choses bougent. Les investisseurs américains reviennent en force. Leur participation aux deals européens, tombée à 19 % en 2023, remonte progressivement. Les valorisations plus attractives qu’aux États-Unis, surtout dans l’IA, attirent les capitaux d’outre-Atlantique.
Cette dynamique offre un point d’entrée intéressant pour des technologies comparables à moindre coût. Les VC américains y voient une opportunité de diversification et de meilleurs multiples.
L’IA, locomotive de la reprise européenne
L’intelligence artificielle change la donne. Des startups comme la française Mistral AI attirent des financements massifs, y compris de géants américains. Sa levée de 1,7 milliard d’euros en septembre, avec Andreessen Horowitz, Nvidia ou Lightspeed, illustre parfaitement cette tendance.
De l’autre côté, la suédoise Lovable, spécialisée dans le « vibe-coding », vient de boucler une Series B impressionnante de 330 millions de dollars. Menée par des fonds US comme Salesforce Ventures, CapitalG ou Menlo Ventures, cette opération montre que les innovations européennes dans l’IA séduisent au-delà des frontières.
- Valorisations plus raisonnables qu’aux États-Unis
- Talents techniques de premier plan formés dans les meilleures universités européennes
- Écosystèmes nationaux solides en France, Suède, Allemagne et Royaume-Uni
- Soutien croissant des gouvernements via des initiatives publiques
Ces éléments font de l’IA européenne un terrain de jeu attractif. Les investisseurs parient sur des acteurs capables de rivaliser avec les géants américains tout en offrant de meilleurs points d’entrée.
Klarna : l’exit qui pourrait tout changer
L’introduction en bourse de Klarna en septembre marque un tournant. Après avoir levé 6,2 milliards de dollars en privé sur deux décennies, cette licorne suédoise du paiement fractionné offre enfin une sortie significative. Ce type d’événement recycle du capital vers les LPs européens et redonne confiance.
Les fondateurs observent désormais des modèles de succès locaux. Spotify, Revolut, et maintenant Klarna, démontrent qu’il est possible de bâtir des géants mondiaux depuis l’Europe.
Les fondateurs ambitieux ont vu ce que signifie l’excellence avec Spotify, Klarna ou Revolut. Ils lancent désormais des entreprises avec l’objectif de dominer globalement, pas seulement en Europe.
Victor Englesson, partner chez EQT
Cette évolution de mentalité est cruciale. Les entrepreneurs ne se limitent plus à un marché national ou continental. Ils visent directement la scale mondiale dès le départ.
Les grands fonds restent engagés
Malgré la sécheresse en fundraising, certains acteurs institutionnels doublent la mise. EQT, par exemple, annonce vouloir investir 250 milliards de dollars en Europe sur les cinq prochaines années, contre 120 milliards les cinq précédentes. Cette confiance traduit une vision long terme positive.
Les fonds pan-européens comme Index Ventures, Accel ou Atomico continuent d’être actifs. Ils misent sur la profondeur du vivier de talents et la maturité croissante des écosystèmes.
Comparaison avec les États-Unis : des écarts qui se resserrent ?
Les États-Unis dominent toujours en volume absolu et en méga-deals. Mais l’écart en termes de qualité technologique, surtout en IA, se réduit rapidement. Des labs comme Mistral rivalisent avec les meilleurs modèles américains.
| Critère | Europe 2025 (Q1-Q3) | États-Unis 2025 (Q1-Q3) |
| Investissements totaux | 43,7 Md€ | Supérieur aux années précédentes |
| Participation US aux deals | En hausse depuis 2023 | N/A |
| Focus sectoriel fort | IA en tête | IA dominante |
| Exits majeurs | Klarna IPO | Multiples IPOs |
Ce tableau simplifié montre que si les volumes restent inférieurs, les tendances qualitatives convergent. L’Europe rattrape son retard sur les secteurs porteurs.
Les défis structurels à surmonter
Fragmentation du marché reste un frein majeur. Vingt-sept pays, langues différentes, régulations variées compliquent la scale rapide. Le Capital Markets Union, souvent évoqué, tarde à se concrétiser.
Le vivier de capitaux locaux demeure limité comparé aux États-Unis. Les retraites et assurances européennes investissent moins massivement en venture que leurs homologues américains.
Enfin, la culture du risque reste plus conservatrice. Les échecs sont moins bien acceptés socialement, freinant parfois l’entrepreneuriat sériel.
Les atouts incontestables de l’Europe
Talents techniques exceptionnels grâce aux grandes écoles et universités. Coût de la vie plus raisonnable permettant des burn rates maîtrisés. Régulations fortes en privacy et éthique qui deviennent des avantages compétitifs en IA responsable.
- Écosystèmes matures à Paris, Berlin, Londres, Stockholm
- Programmes publics généreux (French Tech, BPI, etc.)
- Qualité de vie attirant les talents mondiaux
- Diversité culturelle favorisant l’innovation
- Proximité géographique facilitant les collaborations
Ces forces structurelles positionnent l’Europe pour une croissance durable plutôt que spéculative.
Perspectives pour 2026 et au-delà
Les signaux positifs s’accumulent. Retour des investisseurs américains, exits qui recyclent du capital, mindset global des fondateurs, percées en IA. Si la collecte de fonds rebondit en 2026, le marché pourrait enfin décoller.
Les analystes comme Navina Rajan restent prudents mais notent ces green shoots. Les conférences comme Slush ne mentent pas sur l’énergie réelle du terrain.
L’Europe a tous les ingrédients pour devenir un leader technologique mondial. Il ne manque peut-être plus que le déclic d’une série d’exits réussis et d’un environnement macro plus favorable.
En attendant, les entrepreneurs continuent de bâtir avec ambition. Les investisseurs sélectifs misent sur la qualité plutôt que la quantité. Et petit à petit, l’écart entre l’énergie palpable et les données chiffrées pourrait bien se combler.
Le marché startup européen n’est pas encore au niveau de son enthousiasme, mais il s’en rapproche inexorablement. 2026 pourrait marquer le vrai tournant. À suivre de très près.