Imaginez un petit disque rond qui sillonne votre salon depuis plus de vingt ans, aspirant la poussière sans que vous ayez à lever le petit doigt. Le Roomba est devenu un compagnon presque familial pour des millions de foyers. Pourtant, fin 2025, iRobot, la société derrière cette invention mythique, vient de déposer le bilan. Une fin brutale pour une aventure entrepreneuriale qui aura duré trente-cinq ans.

La chute d’iRobot : quand la régulation tue l’innovation

Colin Angle, fondateur et ancien PDG d’iRobot, ne mâche pas ses mots. Pour lui, cette faillite était évitable. Tout s’est joué autour d’un projet de rachat à 1,7 milliard de dollars par Amazon, annoncé en 2022 et finalement abandonné en janvier 2024 sous la pression des autorités de concurrence américaines et européennes.

Ce qui devait être une union salvatrice s’est transformé en cauchemar administratif de dix-huit mois. Une enquête interminable qui a vidé les caisses et paralysé la stratégie de l’entreprise. Angle parle d’un véritable choc pour l’écosystème des startups technologiques.

Un marché pourtant ultra-concurrentiel

Les régulateurs craignaient qu’Amazon, déjà dominant dans le commerce en ligne, ne devienne trop puissant dans la robotique domestique. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire. En Europe, iRobot ne détenait que 12 % de parts de marché, en baisse constante. Aux États-Unis, la situation était un peu meilleure, mais la concurrence chinoise – Roborock, Ecovacs – grignotait rapidement du terrain.

Angle insiste : ce marché était tout sauf monopolistique. Des acteurs jeunes et agressifs arrivaient avec des innovations et des prix plus bas. Le rachat aurait dû permettre à iRobot d’accélérer son développement grâce aux ressources d’Amazon. Au lieu de cela, l’enquête a coûté des fortunes en frais juridiques et a détourné l’énergie de toute l’équipe.

« Les examinateurs de la FTC affichaient sur leurs portes les accords bloqués comme des trophées. »

Colin Angle, fondateur d’iRobot

Cette phrase choc illustre le fossé entre la vision des régulateurs et celle des entrepreneurs. Pour Angle, l’agence américaine chargée de protéger la concurrence et les consommateurs semblait plutôt célébrer chaque blocage d’acquisition, quel qu’en soit le contexte.

Les conséquences pour l’écosystème startup

Cet épisode envoie un signal inquiétant aux fondateurs du monde entier. Traditionnellement, la vente à un grand groupe représente une sortie honorable et lucrative après des années de lutte. Aujourd’hui, ce scénario devient plus risqué, surtout dans les secteurs technologiques sous le radar des autorités antitrust.

Le risque réglementaire s’ajoute aux risques techniques, commerciaux et financiers déjà énormes dans la robotique. Résultat : moins d’investissements, valorisations plus basses, et potentiellement moins de nouvelles entreprises créées. Angle le dit clairement : les États-Unis ont besoin que leurs innovateurs réussissent, pas qu’ils soient freinés par une régulation trop zélée.

  • Augmentation du risque perçu pour les investisseurs
  • Frein à la création de valeur via les acquisitions
  • Message négatif envoyé aux entrepreneurs
  • Avantage compétitif offert aux concurrents étrangers moins régulés

L’incroyable saga d’iRobot : des débuts héroïques

Retour en 1990. Trois chercheurs du MIT, dont Colin Angle et son professeur Rodney Brooks, décident de créer iRobot. Leur motivation ? Une frustration presque enfantine : Où sont les robots qu’on nous a promis dans les films ?

Les premières années sont épiques. Le business plan initial ? Envoyer un robot sur la Lune et vendre les droits cinéma. Échec. Mais la technologie développée servira à la mission Mars Pathfinder. Le nom de Colin Angle est gravé sur Mars !

Puis viennent les robots militaires. Le PackBot entre dans des grottes en Afghanistan, désamorce des IED en Irak. Les soldats envoient des cartes postales : Vous m’avez sauvé la vie aujourd’hui. Après Fukushima, les robots d’iRobot sont les premiers à entrer dans les réacteurs endommagés.

L’invention qui a tout changé : le Roomba

Il faudra attendre 2002, douze ans après la fondation, pour que sorte le premier Roomba. Angle donne 15 000 dollars et deux semaines à une petite équipe pour prototyper un aspirateur robot. Le résultat est prometteur. Dix-huit mois plus tard, 10 000 unités sont produites.

Le lancement est un succès médiatique inattendu. Les journalistes adorent cette petite machine qui fonctionne vraiment. 70 000 exemplaires vendus en trois mois. L’année suivante, iRobot produit 300 000 unités… et manque de faire faillite quand les ventes ne suivent pas immédiatement.

Sauvetage miraculeux : une pub Pepsi avec Dave Chappelle montre un Roomba qui mange un chip, puis poursuit l’acteur et lui arrache le pantalon. Sans que iRobot soit au courant ! Les 250 000 robots invendus partent en deux semaines.

« Les vidéos de chats sur des Roombas ont eu des dizaines de milliards de vues. C’est absurde, mais ça a participé à notre succès. »

Colin Angle

Plus de 50 millions de Roombas vendus depuis. Un véritable phénomène culturel.

Les erreurs stratégiques qui ont coûté cher

Malgré ces succès, iRobot a pris des paris risqués. Colin Angle a longtemps refusé le lidar, préférant une navigation par vision, comme chez Tesla. Stratégie cohérente pour une vision long terme d’un robot plus intelligent que simple aspirateur, mais qui a laissé le champ libre aux concurrents chinois moins chers.

iRobot a aussi tardé à proposer des modèles hybrides aspiration/lavage, croyant que séparer les fonctions donnait une meilleure expérience. Les consommateurs ont voté autrement. Enfin, l’entreprise était exclue du marché chinois, le plus grand au monde pour la robotique grand public.

  • Refus du lidar au profit de la vision
  • Retard sur les robots 2-en-1
  • Absence sur le marché chinois
  • Concurrence chinoise agressive sur les prix

Leçons pour les entrepreneurs en robotique

Colin Angle distille aujourd’hui ses conseils aux jeunes pousses du secteur. Le premier : comprendre parfaitement son marché. La robotique est fascinante, mais il est facile de tomber amoureux de sa technologie plutôt que de résoudre un vrai problème consommateur.

Autre piège : penser robot avant de penser application. À la création d’iRobot, tout le monde imaginait des humanoïdes poussant des aspirateurs traditionnels. Le Roomba, simple disque sans bras ni tête, coûtait 10 000 fois moins cher et a démocratisé la robotique.

Enfin, la résilience. iRobot a frôlé la mort des dizaines de fois. La réussite tient souvent à un mélange de persévérance, d’un peu de chance, et de capacité à pivoter.

Et demain ? Colin Angle repart à l’aventure

Malgré la douleur de voir son bébé de trente-cinq ans disparaître, Colin Angle n’a pas dit son dernier mot. Il a déjà fondé une nouvelle société, toujours en stealth. L’orientation ? Toujours la robotique grand public, mais avec une ambition différente : créer des robots dotés d’une sophistication émotionnelle suffisante pour accompagner les humains dans des domaines comme la santé et le bien-être.

À bientôt 60 ans, l’ancien étudiant du MIT reste animé par la même flamme : construire les robots qu’on nous a promis depuis l’enfance. Une détermination touchante dans un secteur où les échecs sont aussi spectaculaires que les réussites.

L’histoire d’iRobot nous rappelle la fragilité des plus belles aventures entrepreneuriales. Entre innovation technique, concurrence mondiale et régulation imprévisible, le chemin est semé d’embûches. Mais elle montre aussi que l’esprit pionnier ne meurt jamais vraiment.

Le Roomba continuera peut-être à tourner dans nos salons sous une autre marque. Quant à Colin Angle, il prépare déjà la prochaine révolution robotique. À suivre de très près.

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Steven Soarez
Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.