Imaginez un monde où chaque fois qu’une intelligence artificielle comme ChatGPT ou Gemini s’entraîne sur des textes, des images ou des musiques protégés, une partie des profits revient directement aux créateurs. Ce n’est plus de la science-fiction : l’Inde vient de proposer un système révolutionnaire qui pourrait bien forcer les géants de l’IA à ouvrir leur portefeuille. En pleine explosion de l’intelligence artificielle générative, cette initiative indienne interpelle et pourrait inspirer d’autres pays.
Le gouvernement indien ne veut plus que les OpenAI, Google ou autres profitent gratuitement du riche patrimoine culturel et créatif du pays pour développer leurs modèles. Au lieu d’attendre des années de batailles judiciaires, New Delhi opte pour une solution pragmatique et audacieuse : un système de licence collective obligatoire avec royalties. Une première mondiale qui place l’Inde en pionnière sur un sujet brûlant.
Une proposition qui change la donne pour l’IA
Le 9 décembre 2025, le Département pour la Promotion de l’Industrie et du Commerce Intérieur a publié un cadre proposant une licence collective obligatoire pour les entreprises d’intelligence artificielle. Concrètement, cela signifie que les développeurs d’IA auraient un accès automatique à l’ensemble des œuvres protégées par le droit d’auteur disponibles légalement, mais en échange d’un paiement de royalties à un organisme collecteur unique.
Cet organisme, composé de représentants des détenteurs de droits, redistribuerait ensuite les fonds aux créateurs : écrivains, musiciens, artistes, journalistes… Qu’ils soient enregistrés ou non. L’objectif ? Réduire les coûts de transaction pour les entreprises tout en garantissant une compensation juste dès le départ.
Ce n’est pas une mince affaire quand on sait que l’Inde représente déjà un marché colossal pour ces technologies. Sam Altman, PDG d’OpenAI, a lui-même déclaré que son pays était le deuxième marché de l’entreprise après les États-Unis, et qu’il pourrait bien devenir le premier. Une croissance fulgurante qui repose en partie sur le contenu créé par des millions d’Indiens.
Pourquoi l’Inde agit maintenant
Le comité de huit membres formé en avril 2025 justifie cette approche par la nécessité d’éviter des années d’incertitude juridique. Dans un rapport de 125 pages, il explique que ce système de blanket license offre un accès facile au contenu tout en assurant une rémunération équitable.
Ce système vise à fournir un accès facile au contenu pour les développeurs d’IA… réduire les coûts de transaction… et assurer une compensation juste aux détenteurs de droits.
Rapport du comité indien
Contrairement aux États-Unis ou à l’Europe, où les débats tournent autour du fair use ou des exceptions pour le text and data mining, l’Inde choisit une voie interventionniste. Pas d’opt-out compliqué, pas de négociations individuelles interminables : un guichet unique pour tout le monde.
Le comité argue que cela bénéficie à tous. Les entreprises évitent les risques judiciaires, les créateurs reçoivent une part du gâteau, et l’innovation peut continuer sans frein excessif. Une vision équilibrée qui place la compensation au cœur du développement de l’IA.
Un contexte mondial tendu
Cette proposition arrive dans un climat particulièrement chargé. Partout dans le monde, les créateurs attaquent en justice les géants de l’IA. Aux États-Unis, des auteurs, des journaux comme le New York Times, des artistes poursuivent OpenAI et d’autres pour utilisation non autorisée de leurs œuvres.
En Europe, l’AI Act impose des obligations de transparence, mais les questions de droits d’auteur restent floues. En Inde même, l’agence de presse ANI a porté plainte contre OpenAI devant la Haute Cour de Delhi, accusant l’entreprise d’avoir utilisé ses articles sans permission.
- Des procès intentés par des auteurs et artistes aux États-Unis
- Des débats sur le fair use en cours dans plusieurs juridictions
- Des plaintes en Europe contre le scraping massif de données
- En Inde, l’affaire ANI vs OpenAI qui fait jurisprudence
Toutes ces affaires posent la même question : l’entraînement d’une IA sur des données protégées constitue-t-il une reproduction illicite ou une utilisation transformative protégée ? Les tribunaux n’ont pas encore tranché définitivement, laissant les entreprises dans une zone grise confortable.
L’Inde refuse d’attendre. Au lieu de laisser les juges décider au cas par cas, elle propose une solution systémique qui reconnaît d’emblée le droit à compensation des créateurs.
Les arguments en faveur de la licence collective
Le rapport met en avant plusieurs avantages concrets de ce modèle hybride. D’abord, il simplifie la vie des entreprises d’IA : plus besoin de négocier des milliers de licences individuelles. Un paiement unique à l’organisme collecteur suffit.
Ensuite, il assure une rémunération même pour les créateurs non enregistrés. Dans un pays comme l’Inde, où beaucoup d’artistes, musiciens traditionnels ou écrivains locaux ne passent pas par des sociétés de gestion collective classiques, c’est un progrès majeur.
Enfin, il crée un cercle vertueux : les revenus générés par les utilisateurs indiens des outils d’IA (qui sont nombreux et en croissance rapide) reviennent en partie à ceux qui ont produit le contenu ayant servi à entraîner ces modèles.
| Avantages pour les entreprises d’IA | Avantages pour les créateurs |
| Accès automatique à tout contenu légal | Compensation sans démarche individuelle |
| Réduction drastique des coûts de compliance | Rémunération même pour les non-enregistrés |
| Évite les risques de poursuites judiciaires | Partage des revenus du marché indien |
| Guichet unique simplifié | Protection du patrimoine culturel |
Ce tableau illustre bien l’équilibre recherché. Ni blocage total de l’innovation, ni pillage gratuit du contenu créatif.
Les critiques et oppositions
Tout n’est pas rose. La proposition a déjà suscité de vives critiques de la part des géants technologiques. Nasscom, l’association représentant les entreprises tech en Inde (dont Google et Microsoft), a déposé une dissidence formelle.
Ils plaident pour une exception large au text and data mining, permettant l’utilisation de contenu légalement accessible sans paiement obligatoire. Selon eux, un régime de licence forcée freinerait l’innovation et rendrait les modèles moins performants.
La Business Software Alliance (représentant Adobe, AWS, Microsoft…) partage cet avis. Elle met en garde contre les risques de biais si les modèles sont limités à des données licenciées ou du domaine public.
S’appuyer uniquement sur des licences directes ou statutaires pour les données d’entraînement de l’IA peut être impraticable et ne pas donner les meilleurs résultats.
Business Software Alliance
Le comité a balayé ces arguments, estimant qu’une exception pure affaiblirait la protection du droit d’auteur, et qu’un opt-out serait impossible à mettre en œuvre à grande échelle.
Comparaison avec les autres approches mondiales
Pour bien comprendre l’originalité indienne, comparons avec ce qui se passe ailleurs.
- États-Unis : Débats autour du fair use. Les tribunaux penchent parfois pour les entreprises d’IA (transformation substantielle), mais rien n’est tranché.
- Union Européenne : L’AI Act impose la transparence sur les données d’entraînement, et une exception TDM existe mais avec opt-out possible pour les détenteurs de droits.
- Japon : Exception large pour le data mining à des fins non commerciales, étendue récemment.
- Inde (proposition) : Accès automatique mais paiement obligatoire via licence collective.
L’approche indienne est clairement la plus favorable aux créateurs parmi les grands marchés. Elle refuse le tout-gratuit tout en évitant le tout-bloqué.
Les implications pour les géants de l’IA
Si cette proposition est adoptée, OpenAI, Google, Meta et les autres devront intégrer ce coût indien dans leur modèle économique. Pour un marché aussi stratégique que l’Inde, cela pourrait représenter des sommes significatives.
Mais ce n’est peut-être que le début. D’autres pays en développement, riches en contenu culturel mais pauvres en compensation, pourraient s’inspirer de ce modèle. Imaginez le Brésil, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud adopter des mesures similaires.
À l’inverse, si l’Inde recule face à la pression des lobbys tech, cela renforcerait la position des entreprises d’IA dans les négociations mondiales.
Et après ? La consultation publique
Pour l’instant, rien n’est décidé. Le gouvernement a ouvert une consultation publique de 30 jours. Entreprises, créateurs, associations ont jusqu’à début janvier 2026 pour soumettre leurs commentaires.
Le comité examinera ensuite les retours avant de finaliser ses recommandations. La décision finale appartiendra au gouvernement, potentiellement via une modification de la loi sur le droit d’auteur.
Cette phase de consultation sera cruciale. Les géants tech ont les moyens de mobiliser massivement. Mais les créateurs indiens, souvent moins organisés, pourraient se faire entendre grâce au soutien du gouvernement.
Une opportunité pour repenser le modèle
Au-delà du cas indien, cette proposition pose une question fondamentale : qui doit profiter de la valeur créée par l’IA générative ? Les entreprises qui développent la technologie, ou aussi ceux qui ont produit les données ayant permis son existence ?
Dans un monde où l’IA transforme l’économie créative, trouver un équilibre juste devient urgent. L’Inde, avec son approche pragmatique, montre une voie possible : ni interdiction, ni gratuité totale, mais partage de la valeur.
Quelle que soit l’issue, cette initiative marque un tournant. Elle rappelle que les règles du jeu de l’IA ne seront pas écrites uniquement à Silicon Valley ou à Bruxelles. Les grands pays émergents veulent aussi leur mot à dire.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Cette licence collective obligatoire est-elle la solution équitable que le monde attendait, ou un frein dangereux à l’innovation ? L’avenir de l’IA se joue peut-être en partie à New Delhi.