Imaginez-vous à quelques jours de Noël, à la recherche du cadeau parfait. Vous ouvrez ChatGPT ou Perplexity et demandez : « Trouve-moi un ordinateur gamer à moins de 1 000 euros avec un écran de plus de 15 pouces ». En quelques secondes, l’IA vous sort une liste. Pratique, non ? C’est exactement ce qu’OpenAI et Perplexity viennent de lancer cette semaine. Mais pendant que les géants se félicitent, une question brûlante agite la Silicon Valley : les startups spécialisées dans le shopping IA sont-elles condamnées ?
La réponse, surprenante, est non. Et c’est même tout l’inverse.
Quand les géants débarquent sur le terrain du shopping IA
Cette fin novembre 2025 a été marquée par deux annonces tonitruantes. OpenAI a intégré des capacités shopping directement dans ChatGPT : recommandations produits, comparaison de prix, et même achat via Shopify sans quitter l’interface. Perplexity, de son côté, mise sur la mémoire conversationnelle : l’IA se souvient que vous vivez à Paris, que vous êtes graphiste et que vous détestez le cuir, pour vous proposer des sacs en matières recyclées adaptés.
Adobe prévoit une explosion de 520 % des achats assistés par IA cette saison. Le marché est énorme. Et quand deux mastodontes comme OpenAI (valorisé plus de 150 milliards) et Perplexity (qui lève des centaines de millions chaque trimestre) décident de s’y attaquer, on pourrait légitimement penser que les petites startups n’ont plus qu’à fermer boutique.
Pourtant, les fondateurs que j’ai pu interviewer cette semaine sourient. Vraiment.
La force brute des données… ou leur qualité ?
Zach Hudson, CEO d’Onton (ex-Deft), une startup spécialisée dans l’aménagement intérieur, explique calmement :
Tout modèle ou graphe de connaissance n’est aussi bon que ses sources de données. Aujourd’hui, ChatGPT et les outils basés sur LLM comme Perplexity se contentent de recycler les index de Bing ou Google. Ils sont donc limités aux premiers résultats de ces moteurs.
Zach Hudson, CEO d’Onton
Traduction : les géants sont rapides, mais souvent superficiels.
Quand vous cherchez un canapé, ChatGPT va vous sortir les best-sellers Amazon. Onton, lui, a passé deux ans à construire son propre pipeline de données : photos haute résolution, descriptions précises, dimensions réelles, compatibilité avec les styles scandinave, japandi ou mid-century, avis vérifiés d’architectes d’intérieur… L’IA d’Onton sait que vous avez 2,35 m de mur libre dans votre salon (parce que vous avez uploadé une photo), et que vous avez déjà un tapis berbère. Elle ne vous proposera jamais un canapé trop imposant ou dans des tons qui jurent.
La mode : là où l’IA générique atteint ses limites
Julie Bornstein, ancienne dirigeante de Sephora et de Stitch Fix, aujourd’hui à la tête de Daydream, est encore plus tranchante :
La mode est profondément nuancée et émotionnelle. Trouver la robe parfaite n’a rien à voir avec acheter une télé. Cela demande une compréhension fine des silhouettes, des tissus, des occasions, et de la façon dont on construit une garde-robe au fil du temps.
Julie Bornstein, CEO de Daydream
Daydream ne se contente pas de chercher « robe rouge soirée ». Elle sait si vous avez les épaules larges, si vous portez du 38, si vous avez déjà acheté trois robes noires et que vous cherchez plutôt une couleur qui change. Elle connaît votre morphologie, votre carnation, vos dernières recherches Pinterest. C’est une styliste personnelle, pas un moteur de recherche boosté.
Phia, Cherry, Onton : les niches qui résistent
Regardons de plus près ces startups qui refusent de trembler.
- Onton : 400 000 références produits d’intérieur cataloguées manuellement, entraînement sur des millions de photos de vrais salons. Résultat : une IA capable de dire si tel fauteuil passera dans votre couloir de 87 cm.
- Phia : spécialisée dans la beauté haut de gamme, elle analyse la photo de votre peau pour recommander le bon fond de teint (et pas juste « Fenty Beauty » parce que c’est tendance).
- Daydream : fashion tech pure, avec une compréhension des tendances qui dépasse largement ce que Google ou Perplexity peuvent capter via les SERP.
- Cherry : se concentre sur les cadeaux personnalisés en utilisant la mémoire longue et les profils sociaux (avec consentement).
Toutes ont un point commun : elles ont construit leurs propres jeux de données propriétaires. Et c’est là que les géants buttent encore.
Les avantages (réels) des géants… et leurs faiblesses
Il faut être honnête : OpenAI et Perplexity ont des armes massives.
| Avantage | OpenAI / Perplexity | Startups spécialisées |
| Audience | Des centaines de millions d’utilisateurs | Quelques dizaines de milliers |
| Partenariats | Shopify, PayPal, grands retailers | Affiliation classique |
| Vitesse de déploiement | Quelques semaines | Des mois, voire années |
| Qualité des recommandations | Bonnes pour les produits standards | Excellentes sur leur verticale |
| Compréhension émotionnelle | Limitée | Très élevée |
On le voit : les géants dominent sur le volume, mais perdent en précision dès qu’on entre dans des domaines où l’émotion, le goût ou le contexte personnel comptent.
Vers un futur à deux vitesses ?
Plusieurs scénarios se dessinent pour 2026-2027.
- Le shopping utilitaire (électroménager, informatique, livres…) sera dominé par ChatGPT, Perplexity et les futurs agents Google.
- Le shopping émotionnel (mode, beauté, décoration, cadeaux) restera le terrain de jeu des startups verticales, au moins tant qu’elles gardent leur avance data.
- Certaines startups seront rachetées (on pense à Phia ou Onton comme cibles évidentes pour LVMH ou Ikea).
- D’autres leveront massivement pour construire des « moats » data encore plus larges.
Ce qui est certain, c’est que la guerre ne fait que commencer.
Et vous, quel assistant allez-vous utiliser ce Noël ?
Si vous cherchez une nouvelle cafetière ou un câble HDMI, ChatGPT fera très bien l’affaire.
Mais si vous voulez trouver la robe qui vous fera sentir invincible le soir du 31, ou le vase qui transformera votre salon en magazine de déco… alors les petites startups ont encore de beaux jours devant elles.
Comme le résume si bien Zach Hudson :
Si vous utilisez uniquement des LLM génériques et une interface conversationnelle, il est presque impossible de concurrencer les géants. Mais si vous avez des données propriétaires et une vraie expertise verticale… vous n’avez même pas le même métier.
Zach Hudson
Et ça, même OpenAI ne peut pas l’acheter. Pas encore.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – plus de 3200 mots)