Imaginez un porte-conteneurs géant qui traverse le Pacifique sans émettre le moindre gramme de CO₂, sans réservoirs d’ammoniac ou d’hydrogène, et qui n’a besoin de ravitaillement que tous les… dix ans. Pas de science-fiction : c’est exactement le rêve que porte une startup californienne baptisée Maritime Fusion.

Oui, vous avez bien lu : ils veulent mettre un réacteur à fusion nucléaire sur un bateau.

Maritime Fusion : la fusion nucléaire prend le large

Alors que la plupart des projets de fusion se battent pour faire leurs preuves sur la terre ferme, Justin Cohen et son équipe ont décidé de sauter une étape. Leur conviction ? Le premier marché rentable pour la fusion ne sera pas le réseau électrique terrestre, mais bel et bien la mer.

Et quand on y réfléchit deux minutes, l’idée n’est pas si folle.

Les sous-marins et porte-avions nucléaires (fission) naviguent déjà depuis des décennies. Pourquoi la fusion, qui produit zéro meltdown possible et quasiment zéro déchets radioactifs, ne pourrait-elle pas faire mieux ?

Pourquoi la mer plutôt que la terre ?

Justin Cohen l’explique sans détour : sur terre, la concurrence est impitoyable.

« Concurrencer le solaire et l’éolien sur le réseau électrique avec un premier réacteur à plusieurs milliards, c’est mission impossible. »

Justin Cohen, CEO de Maritime Fusion

En mer, c’est une tout autre histoire. Les carburants alternatifs comme l’ammoniac vert ou l’hydrogène restent extrêmement chers – souvent plus chers que ce que coûtera l’électricité issue d’un réacteur à fusion de première génération.

Résultat : Maritime Fusion pourrait être compétitif dès son premier réacteur.

4,5 millions de dollars pour commencer

La jeune pousse vient de boucler un seed de 4,5 millions de dollars mené par Trucks Venture Capital, avec Aera VC, Alumni Ventures, et même Paul Graham (le cofondateur de Y Combinator) au tour de table. Maritime Fusion faisait d’ailleurs partie du batch hiver 2025 de l’accélérateur le plus prestigieux de la Silicon Valley.

Cet argent va servir à deux choses :

  • Fabriquer ses propres câbles supraconducteurs haute température (HTS) à partir de rubans achetés principalement au Japon.
  • Commencer à concevoir le tokamak « Yinsen », prévu pour délivrer environ 30 MW d’électricité.

Ces câbles HTS seront d’ailleurs vendus à d’autres acteurs de la fusion pour générer du chiffre d’affaires dès les premières années – une stratégie maligne quand on sait que la demande explose.

Yinsen : le premier tokamak qui produira vraiment de l’électricité

Le nom « Yinsen » est un clin d’œil au personnage qui aide Tony Stark à construire son premier réacteur Arc dans Iron Man. Symbole assumé : Maritime Fusion veut être le « Iron Man » de la fusion maritime.

Caractéristiques annoncées du futur réacteur :

Diamètre du tokamak~8 mètres
Puissance électrique nette30 MW
Mise en service prévue2032
Coût estimé1,1 milliard de dollars
CarburantEau de mer (deutérium + tritium extrait à terre)

À titre de comparaison, Commonwealth Fusion Systems (CFS), le leader incontesté du secteur avec près de 3 milliards levés, construit d’abord SPARC (démonstrateur scientifique prévu pour 2026) avant de passer à ARC (réacteur commercial) début 2030.

Maritime Fusion saute directement à l’étape commerciale. Risqué ? Sans doute. Mais potentiellement gagnant.

Les défis techniques (et ils sont énormes)

Mettre un tokamak en mer, ce n’est pas juste le poser sur le pont et prier Poséidon.

Les principaux challenges identifiés par l’équipe :

  • Stabilité du plasma malgré le roulis et le tangage (même stabilisés, les navires bougent).
  • Refroidissement : l’eau de mer est corrosive et pleine d’organismes, il faut des échangeurs très robustes.
  • Maintenance en haute mer : tout doit être conçu pour fonctionner des années sans arrêt majeur.
  • Sécurité réglementaire : aucun cadre n’existe encore pour un réacteur à fusion civil maritime.

Pour limiter la complexité, Maritime Fusion externalisera certaines opérations (comme la production de tritium) à terre. Le bateau ne sera « que » le réacteur et la turbine.

Un marché maritime en pleine mutation

Le transport maritime représente environ 3 % des émissions mondiales de CO₂ – autant que l’Allemagne entière. L’OMI (Organisation Maritime Internationale) impose une réduction de 50 % d’ici 2050, et les armateurs paniquent.

Les solutions actuelles :

  • Ammoniac vert : très cher, toxique, infrastructure inexistante.
  • Hydrogène : volumineux, problème de stockage à -253 °C.
  • Méthanol vert : moins pire, mais toujours carboné si pas parfaitement vert.
  • Batteries : impossibles pour les trajets transocéaniques.

La fusion, elle, offre une énergie dense, propre, et surtout continue. Parfait pour un porte-conteneurs qui doit maintenir 20 nœuds 24h/24.

« Le jour où un armateur pourra afficher “zéro émission” sans mentir et sans payer une fortune en carburant alternatif, il signera tout de suite. »

Un investisseur du secteur maritime, anonyme

Et la concurrence dans tout ça ?

Maritime Fusion n’est pas seule à viser la mer, mais elle est la première à l’assumer publiquement. Des géants comme Helion ou General Fusion gardent des cartes dans leur manche, mais rien d’officiel sur une application maritime.

Core Power (Royaume-Uni) travaille sur des réacteurs à sels fondus pour navires, mais reste sur la fission avancée. Type One Energy ou Proxima Fusion restent focalisés sur le terrestre.

Maritime Fusion a donc une fenêtre de tir unique.

Ce que ça change pour la planète

Si le pari réussit, les conséquences seraient colossales :

  • Décarbonation quasi instantanée d’une partie du trafic maritime.
  • Indépendance énergétique pour les armateurs (plus de dépendance au prix du bunker).
  • Modèle économique qui pourrait accélérer le financement de la fusion terrestre (preuve que ça rapporte).
  • Possibilité d’alimenter des îles ou des plateformes offshore directement depuis le bateau.

On parle potentiellement d’une des avancées climatiques les plus rapides et impactantes du siècle.

Conclusion : pari fou ou vision géniale ?

Maritime Fusion joue gros. Construire un tokamak de 8 mètres capable de produire 30 MW en mer d’ici 2032 avec seulement quelques dizaines de millions en caisse relève du défi titanesque.

Mais l’histoire des technologies de rupture est remplie de paris fous qui ont fini par marcher. Les frères Wright, SpaceX, Tesla… tous étaient considérés comme des dingues à leur époque.

Et si la première centrale à fusion qui alimentera vraiment le monde… était un bateau ?

Une chose est sûre : on va suivre Maritime Fusion de très près.

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Steven Soarez
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