Imaginez-vous au volant d’un pickup puissant, capable de tracter des tonnes sans jamais vous inquiéter de la prochaine borne de recharge. C’est précisément ce rêve que Ford avait vendu avec le F-150 Lightning en 2021. Pourtant, fin 2025, la réalité rattrape brutalement le géant de Detroit : le tout-électrique pur n’est plus viable pour les grands véhicules. Le constructeur annonce un virage à 180 degrés qui surprend l’industrie automobile.
Le grand retournement de Ford sur l’électrique
Le 15 décembre 2025, Ford a lâché une bombe. La production du F-150 Lightning dans sa version 100 % électrique s’arrête net. À la place, le constructeur prépare une nouvelle génération du célèbre pickup, équipée d’un prolongateur d’autonomie fonctionnant à l’essence. Ce système hybride permet de recharger la batterie en roulant et promet plus de 700 miles, soit environ 1 130 kilomètres d’autonomie totale.
Ce choix marque un pivot stratégique majeur. Ford reconnaît que le marché des grands véhicules électriques purs s’est effondré plus vite que prévu. Les coûts élevés, la demande en berne et les changements réglementaires ont eu raison des ambitions initiales.
Un coût colossal pour changer de cap
Ce revirement n’est pas gratuit. Ford prévoit une charge exceptionnelle de 19,5 milliards de dollars pour restructurer sa division électrique. Dont 8,5 milliards rien que pour la dépréciation d’actifs EV. Ces montants seront comptabilisés principalement au quatrième trimestre 2025, avec 5,5 milliards en cash étalés jusqu’en 2027.
Les conséquences humaines et industrielles sont lourdes. Plusieurs usines sont touchées, des emplois menacés. Surtout, le projet T3, la prochaine plateforme camion électrique développée de zéro, est purement et simplement abandonné. Ce véhicule devait représenter l’avenir tout-électrique de Ford pour les pickups.
Le fourgon commercial électrique de nouvelle génération subit le même sort. Seule la version actuelle de l’E-Transit continue sa carrière.
Ford ne prévoit plus de produire certains grands véhicules électriques là où le modèle économique s’est effrité en raison d’une demande inférieure aux attentes, de coûts élevés et de changements réglementaires.
Communiqué officiel Ford
Pourquoi ce recul sur les grands EV ?
Plusieurs facteurs expliquent cette décision brutale. D’abord, les ventes du F-150 Lightning n’ont jamais décollé comme espéré. Ford tablait sur des volumes massifs avec un prix d’attaque annoncé autour de 40 000 dollars. Mais ce tarif concernait surtout les flottes professionnelles. Pour le grand public, les versions disponibles étaient bien plus chères.
Sur les deux dernières années, les ventes quarterly tournaient autour de 7 000 unités, avec un pic à près de 11 000 au dernier trimestre 2024. Des chiffres corrects, mais loin des objectifs initiaux pour rentabiliser les investissements colossaux.
- Concurrence accrue avec la guerre des prix lancée par Tesla
- Marges très faibles voire négatives sur les EV pour les constructeurs traditionnels
- Infrastructures de recharge encore insuffisantes pour les usages intensifs des pickups
- Préférences des clients américains pour l’autonomie illimitée
Le contexte politique joue aussi. Avec le retour de Donald Trump et un Congrès républicain, de nombreuses incitations fédérales pour les véhicules électriques risquent de disparaître ou d’être fortement réduites.
La solution du prolongateur d’autonomie
Le nouveau F-150 Lightning sera donc un extended range electric vehicle (EREV). Le principe est simple : le véhicule reste électrique dans l’usage quotidien, avec les moteurs électriques qui entraînent les roues. Mais un petit moteur thermique essence fait office de générateur pour recharger la batterie quand nécessaire.
Cette architecture offre le meilleur des deux mondes. L’expérience de conduite électrique silencieuse et puissante en ville ou sur autoroute. Et l’autonomie quasi illimitée des véhicules thermiques pour les longs trajets ou le remorquage lourd.
Ford promet plus de 700 miles d’autonomie totale. Un chiffre qui dépasse largement les meilleurs EV actuels et qui rassurera les clients professionnels comme les particuliers vivant loin des grandes agglomérations.
| Technologie | Autonomie électrique pure | Autonomie totale | Usage principal |
| F-150 Lightning actuel | Jusqu’à 320 miles | 320 miles | Urbain/mixte |
| Nouveau F-150 Lightning EREV | Environ 200-300 miles (est.) | Plus de 700 miles | Tous usages |
| Pickup thermique classique | 0 mile | 500-600 miles | Longs trajets |
Ce type de véhicule n’est pas nouveau. Chevrolet avait proposé le Volt dans les années 2010 avec ce principe. Plus récemment, des constructeurs chinois comme Li Auto popularisent cette architecture sur de grands SUV avec un succès commercial impressionnant.
Ce que Ford conserve dans l’électrique
Tout n’est pas noir pour les ambitions électriques de Ford. Le constructeur maintient son projet de pickup électrique de taille moyenne prévu pour 2027. Ce véhicule, issu d’un programme secret dirigé par d’anciens cadres de Tesla, utilisera une plateforme dédiée et des batteries LFP moins coûteuses.
La production de batteries lithium-fer-phosphate doit démarrer en 2026 dans l’usine BlueOval Battery Park Michigan. Ford utilise pour cela une licence technologique de CATL, le géant chinois. Ces batteries, plus abordables et durables, équiperont le futur pickup moyen et d’autres modèles.
- Pickup électrique moyen en 2027
- Batteries LFP made in USA dès 2026
- Plateforme dédiée développée en interne
- Hybrides et hybrides rechargeables renforcés sur trucks et vans
Au lieu de dépenser des milliards supplémentaires sur de grands EV sans chemin vers la rentabilité, nous réallouons ces fonds vers des domaines à plus haut retour : plus de trucks et vans hybrides, véhicules électriques à prolongateur d’autonomie, EV abordables et nouvelles opportunités comme le stockage d’énergie.
Andrew Frick, président de Ford
Les leçons pour l’industrie automobile
Le cas Ford illustre parfaitement les difficultés actuelles du passage à l’électrique pour les constructeurs traditionnels. Les grands véhicules utilitaires, très rentables à l’ère thermique, deviennent des gouffres financiers en version 100 % électrique.
Les contraintes physiques sont implacables. Pour offrir des capacités de remorquage et une autonomie décente, il faut des batteries énormes. Ces batteries coûtent cher, pèsent lourd et réduisent la charge utile. Sans compter le temps de recharge incompatible avec certains usages professionnels.
Les solutions hybrides ou à prolongateur d’autonomie apparaissent comme un compromis intelligent en attendant des avancées majeures sur les batteries solides ou d’autres technologies révolutionnaires.
Impact sur les concurrents
Ce pivot de Ford envoie un signal fort aux autres constructeurs. General Motors, qui mise beaucoup sur ses grands pickups électriques comme le GMC Sierra EV ou le Chevrolet Silverado EV, pourrait être tenté de suivre le mouvement.
Rivian, qui produit le R1T, et Tesla avec son Cybertruck, continuent pour l’instant leur stratégie tout-électrique. Mais les volumes restent modestes face aux pickups thermiques traditionnels.
À l’inverse, les constructeurs asiatiques comme Toyota ou Hyundai-Kia, qui ont toujours privilégié les hybrides, pourraient voir leur stratégie validée par les difficultés des américains.
Vers une électrification plus pragmatique
Ce que montre l’exemple de Ford, c’est que l’électrification ne suivra pas forcément le chemin tout ou rien imaginé il y a cinq ans. Les solutions intermédiaires, hybrides sophistiqués ou véhicules à prolongateur d’autonomie, pourraient dominer la transition pendant de nombreuses années.
Les clients veulent les avantages de l’électrique – silence, couple instantané, coûts d’usage réduits – sans les inconvénients majeurs que représentent encore l’autonomie limitée et les temps de recharge longs.
En attendant des batteries plus denses et moins chères, ces technologies transitoires pourraient bien représenter le futur réaliste de l’automobile électrique, surtout pour les véhicules lourds et utilitaires.
Le nouveau F-150 Lightning à prolongateur d’autonomie, dont on attend toujours la date de commercialisation et le prix, pourrait bien devenir le modèle qui réconcilie enfin les conducteurs américains avec l’électrification. Un pickup capable de tout faire, sans compromis. L’histoire n’est peut-être pas finie pour l’électrique chez Ford, elle prend simplement un chemin plus pragmatique.
Ce virage stratégique rappelle que dans l’automobile comme ailleurs, la technologie doit avant tout répondre aux besoins réels des clients. Pas seulement suivre une idéologie, aussi vertueuse soit-elle. L’avenir de la mobilité durable passera probablement par des compromis intelligents plutôt que par des ruptures radicales trop rapides.