Imaginez avoir investi plus de 11 milliards de dollars dans un projet commun, annoncé en grande pompe comme un pilier de la révolution électrique, pour finalement décider, quatre ans plus tard, de tout séparer. C’est exactement ce qui arrive à Ford et SK On, deux géants qui misaient ensemble sur l’avenir des batteries pour véhicules électriques aux États-Unis. Cette décision, révélée mi-décembre 2025, marque un tournant dans un secteur où les ambitions démesurées se heurtent désormais à une réalité plus nuancée.

Le marché des véhicules électriques, longtemps porté par des projections euphoriques, montre aujourd’hui des signes de ralentissement. Les ventes progressent, certes, mais bien en deçà des prévisions qui justifiaient ces investissements colossaux. Ajoutez à cela la fin programmée des crédits d’impôt fédéraux et vous obtenez un cocktail qui pousse les acteurs à revoir leurs stratégies.

La fin d’une alliance ambitieuse dans les batteries EV

Retour en 2021 : Ford, l’icône américaine de l’automobile, s’associe à SK On, filiale du groupe coréen SK Innovation et l’un des leaders mondiaux des cellules de batteries. L’objectif ? Construire trois usines gigantesques aux États-Unis pour produire des batteries destinées aux futurs pick-ups électriques de la gamme F-Series, cœur de cible du constructeur de Dearborn.

Le projet, baptisé BlueOval SK, représente un engagement financier record : 11,4 milliards de dollars. Deux sites au Kentucky et un immense campus en Tennessee doivent voir le jour, créant des milliers d’emplois et sécurisant une partie de la chaîne d’approvisionnement en batteries sur le sol américain.

Mais en décembre 2025, SK On annonce officiellement la dissolution de cette joint-venture. Les usines ne ferment pas – loin de là. Elles sont simplement redistribuées : Ford reprend le contrôle total des deux sites du Kentucky, tandis que SK On garde la main sur l’installation tennesseenne. Un partenariat stratégique subsiste autour de ce dernier site, mais l’entité commune disparaît.

Pourquoi cette séparation maintenant ?

La réponse tient en quelques mots : ajustement à la demande réelle. L’industrie automobile a massivement investi dans l’électrique ces dernières années, anticipant une explosion des ventes. Or, si les véhicules électriques représentent aujourd’hui une part croissante du marché, leur adoption reste plus progressive que prévu.

Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement. D’abord, la fin progressive des incitations fiscales fédérales aux États-Unis change la donne économique pour les acheteurs. Ensuite, les contraintes d’approvisionnement en matières premières et les hausses de coûts ont fait grimper les prix de nombreux modèles.

« La demande n’a pas suivi les projections ambitieuses de l’industrie. »

Un observateur du secteur automobile

Enfin, certains segments, comme les gros pick-ups électriques, rencontrent des résistances culturelles et pratiques. Le F-150 Lightning de Ford, malgré son succès relatif, n’a pas transformé le marché aussi rapidement qu’espéré.

Les conséquences immédiates pour les deux partenaires

Pour Ford, reprendre les usines du Kentucky offre un contrôle total sur une partie cruciale de sa chaîne de valeur. Le constructeur américain, qui investit massivement dans l’électrique tout en maintenant une gamme thermique robuste, gagne en flexibilité. Il peut adapter la production à ses propres besoins sans compromis avec un partenaire.

Côté SK On, conserver le site du Tennessee permet de maintenir une présence forte aux États-Unis, marché stratégique. Le coréen continue de fournir Ford via un accord commercial, tout en pouvant diversifier sa clientèle. Cette séparation évite potentiellement des conflits futurs sur les orientations stratégiques.

  • Ford gagne en autonomie sur deux sites de production.
  • SK On préserve son implantation américaine et un client majeur.
  • Les emplois créés par BlueOval SK sont maintenus.
  • La capacité de production globale reste intacte à court terme.

Un symptôme plus large du marché des véhicules électriques

Cette dissolution n’est pas un cas isolé. L’ensemble du secteur automobile réévalue ses investissements dans l’électrique. Plusieurs constructeurs ont déjà repoussé des objectifs de production ou diversifié leurs stratégies avec des hybrides et hybrides rechargeables.

Les fournisseurs de batteries, eux aussi, ajustent leurs plans. Certains projets d’usines gigantesques sont mis en pause, d’autres redimensionnés. La course à la capacité de production, qui semblait insatiable il y a quelques années, laisse place à une approche plus pragmatique.

Ce recentrage ne signifie pas l’abandon de l’électrique. Au contraire, il reflète une maturation du marché. Les acteurs cherchent désormais l’équilibre entre ambition environnementale et réalité économique.

L’impact sur la transition énergétique américaine

Le projet BlueOval SK avait été salué comme une victoire pour la réindustrialisation américaine. Soutenu par des incitations de l’Inflation Reduction Act, il visait à réduire la dépendance aux batteries asiatiques, dominées par la Chine, la Corée du Sud et le Japon.

Même dissoute, la joint-venture laisse un héritage concret : des usines modernes sur le sol américain, des milliers d’emplois qualifiés, et une capacité de production locale. La séparation n’annule pas ces acquis. Elle pourrait même accélérer leur mise en service en supprimant les frictions de gouvernance.

Cependant, elle illustre les défis de la localisation de la chaîne d’approvisionnement. Construire des gigafactories nécessite des partenariats internationaux, mais maintenir ces alliances dans la durée demande une alignement parfait des intérêts – ce qui n’est pas toujours évident quand les marchés évoluent.

Les stratégies divergentes de Ford et SK On

Ford adopte depuis plusieurs mois une approche plus équilibrée. Le constructeur continue d’investir dans l’électrique – avec le Mustang Mach-E, le F-150 Lightning ou l’arrivée prochaine de nouveaux modèles – mais il renforce aussi ses hybrides et même explore des solutions comme des générateurs essence sur certains véhicules électriques pour rassurer les clients sur l’autonomie.

De son côté, SK On poursuit son expansion mondiale. Le coréen fournit déjà de nombreux constructeurs et cherche à consolider sa position parmi les leaders mondiaux des cellules de batteries. La fin de la joint-venture exclusive avec Ford lui offre potentiellement plus de liberté pour nouer d’autres partenariats.

PartenaireStratégie actuelleActifs conservés
FordDiversification (EV + hybrides)Usines Kentucky
SK OnExpansion multi-clientsUsine Tennessee

Perspectives pour l’industrie des batteries

À moyen terme, cette séparation pourrait préfigurer d’autres mouvements. Les joint-ventures, très populaires pour partager les risques énormes de la gigafactory, pourraient être remises en question quand les partenaires ont des visions divergentes sur le rythme de la transition.

Les technologies de batteries évoluent rapidement : passage progressif aux cellules LFP moins coûteuses, recherche sur les batteries solides, optimisation des chaînes de recyclage. Les acteurs qui contrôlent directement leurs usines seront peut-être mieux placés pour intégrer ces innovations à leur rythme.

Enfin, la concentration du marché des batteries pourrait s’accélérer. Les leaders coréens (LG, Samsung, SK On) et chinois (CATL, BYD) continuent d’investir massivement, tandis que les nouveaux entrants occidentaux peinent parfois à suivre le rythme.

Ce que cela nous dit sur l’avenir de la mobilité électrique

Cette histoire illustre parfaitement la complexité de la transition vers l’électrique. Ce n’est pas une marche triomphale linéaire, mais un chemin semé d’ajustements, de compromis et de réorientations stratégiques.

Les véhicules électriques continueront de progresser, portés par les réglementations environnementales, les avancées technologiques et une demande croissante dans certains segments. Mais le rythme sera dicté par l’économie réelle, les infrastructures de recharge et les préférences des consommateurs.

Pour les entrepreneurs et investisseurs dans la mobilité durable, la leçon est claire : la flexibilité et l’adaptabilité priment sur les plans gravés dans le marbre. Les alliances peuvent être puissantes pour lancer des projets ambitieux, mais elles doivent aussi savoir évoluer ou se dissoudre quand les conditions changent.

En fin de compte, la fin de BlueOval SK n’est pas une défaite. C’est l’industrie qui mûrit, qui apprend à naviguer entre ambition écologique et réalité économique. Et c’est peut-être précisément ce dont elle avait besoin pour avancer de manière plus durable.

(Article rédigé à partir des informations publiques disponibles en décembre 2025. Les stratégies des entreprises peuvent continuer d’évoluer rapidement dans ce secteur en pleine transformation.)

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Steven Soarez
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