Vous adorez les pulls en cachemire pour leur douceur incomparable, leur légèreté et leur chaleur ? Moi aussi. Mais avouez-le : quand on voit des sweaters à 50 euros partout, on se doute que quelque chose cloche derrière cette accessibilité soudaine.
Derrière ces prix cassés se cache souvent une réalité moins glamour : un élevage intensif de chèvres qui souffrent pour produire plus de fibre, au détriment de sa qualité et de l’environnement. Et si on pouvait avoir le luxe du cachemire sans ces compromis ? C’est précisément le pari fou d’une startup qui pourrait bien révolutionner l’industrie textile.
Everbloom : L’IA qui recycle les déchets en fibres de luxe
Everbloom n’est pas une énième marque de mode éco-responsable qui prône le « moins mais mieux ». Non, cette jeune pousse va plus loin : elle invente carrément un nouveau matériau qui imite les propriétés du cachemire, mais à partir de déchets qu’on jette habituellement.
Au cœur de leur innovation ? Une intelligence artificielle baptisée Braid.AI, capable de transformer des résidus riches en kératine – comme les plumes de poulet ou les chutes de laine – en fibres haut de gamme. Le résultat est bluffant : une texture proche du cachemire véritable, mais bien plus durable et potentiellement moins chère.
Le problème caché derrière nos pulls préférés
Pour bien comprendre l’enjeu, revenons un instant sur le cachemire traditionnel. Cette fibre précieuse provient du duvet de certaines races de chèvres, principalement élevées en Mongolie et en Chine.
Une chèvre ne produit que 113 à 170 grammes de cachemire par an, après deux tonte. Avec l’explosion de la demande – boostée par les fast-fashion qui inondent le marché de pulls à bas prix – les éleveurs sont poussés à tondre plus souvent. Conséquence : les animaux souffrent, la qualité de la fibre baisse, et les pratiques deviennent insoutenables.
Les producteurs de matières premières sont sous une pression énorme. Ce qu’on voit avec les pulls en cachemire à 50 dollars, c’est qu’on tond les chèvres beaucoup trop souvent. La qualité diminue et les pratiques d’élevage deviennent insoutenables.
Sim Gulati, cofondateur et CEO d’Everbloom
Cette citation résume parfaitement le dilemme actuel. Plutôt que de moraliser les consommateurs ou d’espérer un changement miraculeux des pratiques ancestrales, l’équipe d’Everbloom a choisi une voie radicale : créer une alternative crédible.
Comment fonctionne la magie technologique d’Everbloom ?
Le processus est à la fois simple dans son principe et extrêmement sophistiqué dans son exécution. Tout commence par la collecte de déchets riches en kératine.
La kératine, c’est cette protéine résistante qui compose les cheveux, les ongles, les cornes… mais aussi les plumes et la laine. Everbloom récupère actuellement des chutes provenant d’élevages de cachemire, de laine, de mills textiles et même de fournisseurs de duvet pour literie.
À terme, la startup vise surtout les plumes issues de l’industrie avicole – un déchet massif et sous-exploité. Ces matières sont broyées, mélangées à des composés propriétaires, puis passées dans des machines d’extrusion plastique classiques.
- Étape 1 : Collecte et broyage des déchets kératiniques
- Étape 2 : Mélange avec des additifs biodégradables spécifiques
- Étape 3 : Extrusion pour former des pellets
- Étape 4 : Filature sur des machines standards de l’industrie textile
L’intelligence artificielle Braid.AI intervient à plusieurs niveaux. Elle optimise les formulations chimiques et les paramètres des machines pour obtenir exactement les propriétés désirées : douceur du cachemire, élasticité du polyester, chaleur de la laine…
Le génie de cette approche ? Elle utilise l’équipement existant qui produit déjà 80 % des fibres textiles mondiales. Pas besoin de révolutionner toute la chaîne de production : Everbloom se positionne comme un « drop-in replacement », une solution directement intégrable.
Une solution qui coche toutes les cases de la durabilité
Ce qui rend Everbloom particulièrement intéressant, c’est que leur matériau répond à plusieurs critères essentiels pour une vraie innovation verte.
D’abord, la biodégradabilité. Contrairement aux fibres synthétiques classiques issues du pétrole, toutes les composants utilisés par Everbloom sont censés se décomposer naturellement. Des tests accélérés sont en cours pour le prouver scientifiquement.
Ensuite, l’impact environnemental réduit. En valorisant des déchets qui finiraient autrement en décharge ou incinérés, la startup évite l’extraction de nouvelles ressources et diminue drastiquement l’empreinte carbone.
- Valorisation de déchets abondants (plumes de poulet notamment)
- Pas d’élevage intensif supplémentaire
- Processus utilisant des machines existantes
- Fibres potentiellement biodégradables
- Coût de production compétitif
Enfin, l’aspect économique. Sim Gulati est catégorique : il refuse le « sustainable premium », cette majoration que subissent souvent les produits éco-responsables.
Je ne crois pas au premium durable. Pour qu’un matériau réussisse, il doit offrir à la fois un bénéfice produit et un bénéfice économique pour tous les acteurs de la chaîne.
Sim Gulati
L’objectif est clair : proposer une fibre qui soit meilleure ou équivalente en performance, mais moins chère à produire grâce à l’utilisation de déchets. Une équation gagnant-gagnant pour les marques, les fabricants et les consommateurs.
Braid.AI : L’intelligence artificielle au service des matériaux
On parle beaucoup d’IA générative pour créer des images ou du texte, mais les applications en science des matériaux sont peut-être encore plus prometteuses.
Braid.AI est un modèle spécialisé qui permet d’explorer virtuellement des milliers de combinaisons de paramètres – compositions chimiques, températures, pressions, vitesses d’extrusion – pour prédire les propriétés finales de la fibre.
Cela accélère énormément le développement. Au lieu de tester physiquement des centaines de formulations, l’IA guide les chercheurs vers les plus prometteuses. Un gain de temps et d’argent considérable pour une startup.
Mais Everbloom ne s’arrête pas au cachemire. Leur technologie vise tous les grands segments du marché textile : polyester, nylon, laine… L’ambition est de devenir un fournisseur majeur de fibres nouvelles génération.
Le parcours d’Everbloom et ses ambitions futures
La startup a déjà levé plus de 8 millions de dollars auprès d’investisseurs reconnus comme Hoxton Ventures et SOSV. Un signal fort que le projet suscite l’intérêt dans la sphère climat-tech.
À court terme, Everbloom continue de perfectionner ses formulations et valide la biodégradabilité de ses fibres. Parallèlement, elle prépare l’industrialisation en nouant des partenariats avec des fabricants textiles.
À plus long terme, l’intégration massive de plumes de poulet pourrait changer la donne. L’industrie avicole mondiale produit des milliards de tonnes de plumes chaque année – un gisement énorme de matière première gratuite et renouvelable.
Si Everbloom parvient à scaler sa technologie, elle pourrait contribuer à décarboner significativement le secteur textile, responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de CO2.
Pourquoi cette innovation pourrait changer la mode
L’industrie de la mode est à un tournant. Les consommateurs demandent plus de transparence et de responsabilité environnementale, mais ils ne sont pas toujours prêts à payer plus cher.
Les solutions comme le recyclage mécanique du polyester existent déjà, mais elles ont leurs limites : dégradation de la qualité, microplastiques… Everbloom propose quelque chose de différent : une fibre upcyclée qui pourrait être supérieure en certains points.
Imaginez des vêtements qui allient luxe, performance, durabilité et prix accessible. C’est le rêve que poursuit cette startup. Et si elle réussit, elle pourrait inspirer toute une vague d’innovations similaires dans d’autres secteurs.
Car au fond, le défi climatique ne se résoudra pas seulement par la sobriété. Il faudra aussi des technologies qui permettent de maintenir notre niveau de confort tout en réduisant drastiquement notre impact. Everbloom incarne parfaitement cette approche pragmatique et ambitieuse.
Alors la prochaine fois que vous enfilerez votre pull préféré, pensez à ces plumes de poulet qui pourraient bientôt le remplacer. La mode de demain est peut-être déjà en train de naître dans les laboratoires d’une petite startup visionnaire.
Une chose est sûre : des projets comme Everbloom nous rappellent que les solutions les plus disruptives viennent souvent des idées les plus inattendues. Transformer des déchets en trésor ? C’est non seulement possible, mais ça pourrait bien devenir la norme.