Imaginez un instant : une institution européenne qui régule les géants du web se retrouve soudain privée de son outil de communication payant sur l’une des plateformes les plus influentes au monde. C’est exactement ce qui s’est produit début décembre 2025 lorsque X, la plateforme autrefois connue sous le nom de Twitter, a désactivé le compte publicitaire de la Commission Européenne. Cette décision intervient quelques jours seulement après une amende colossale de 120 millions d’euros infligée par Bruxelles. Simple coïncidence ou riposte calculée ?
Cette affaire illustre parfaitement les tensions croissantes entre les régulateurs européens et les Big Tech américaines. Elle met en lumière les défis posés par la mise en œuvre du Digital Services Act, cette législation ambitieuse visant à encadrer les plateformes en ligne. Plongeons ensemble dans les détails de cet épisode qui pourrait bien marquer un tournant dans les relations entre X et l’Union Européenne.
Une amende historique sous le Digital Services Act
Le 7 décembre 2025, la Commission Européenne a annoncé sa première sanction majeure dans le cadre du Digital Services Act (DSA), entré en vigueur en 2023. X écope d’une amende de 120 millions d’euros pour plusieurs manquements graves. Cette décision n’est pas anodine : elle représente un signal fort envoyé aux plateformes numériques.
Les reproches formulés par Bruxelles sont précis et techniques. D’abord, le système de vérification payante avec les célèbres blue checkmarks est qualifié de trompeur. Selon les autorités européennes, ce modèle expose les utilisateurs à des risques accrus d’usurpation d’identité et d’escroqueries. En effet, n’importe qui peut désormais obtenir cette marque de vérification en payant, ce qui dilue sa valeur authentifiante.
Ensuite, la Commission pointe du doigt le manque de transparence dans le dépôt publicitaire de X. Les exigences du DSA en matière d’accessibilité et de clarté ne seraient pas respectées, rendant difficile pour les chercheurs et les autorités de scrutiniser les campagnes publicitaires diffusées sur la plateforme.
Le système de blue checkmark payant rend les utilisateurs vulnérables à l’usurpation et aux arnaques.
Commission Européenne
La Commission donne à X des délais stricts pour corriger ces problèmes : 60 jours pour les questions liées aux vérifications payantes, et 90 jours pour les violations en matière de transparence publicitaire. À défaut, des pénalités supplémentaires pourraient être appliquées. Cette approche graduelle montre la volonté de Bruxelles d’obtenir des changements concrets plutôt que de simples amendes.
La réaction immédiate d’Elon Musk
Elon Musk, propriétaire de X, n’a pas tardé à réagir. Sur sa propre plateforme, il a qualifié la décision de bullshit et a même publié un message provocateur : How long before the EU is gone? AbolishTheEU. Ces déclarations reflètent une posture habituelle du milliardaire, souvent critique vis-à-vis des régulations qu’il juge excessives.
Cette rhétorique anti-régulation n’est pas nouvelle chez Musk. Depuis le rachat de Twitter et sa transformation en X, il défend une vision libertarienne de la liberté d’expression absolue. Pour lui, les interventions européennes constituent une entrave à l’innovation et à la concurrence.
Mais cette fois, la réponse de X va au-delà des simples tweets incendiaires. Quelques jours après l’annonce de l’amende, la plateforme prend une mesure concrète : la désactivation du compte publicitaire de la Commission Européenne.
L’accusation d’exploit par Nikita Bier
C’est Nikita Bier, responsable produit chez X, qui monte au front pour justifier cette décision. Dans une réponse publique, il accuse directement la Commission d’avoir abusé d’une faille dans l’outil de composition publicitaire de la plateforme.
Selon Bier, les équipes européennes auraient réactivé un compte publicitaire dormant pour exploiter un bug. Ce dernier permettait de publier un lien déguisé en vidéo, augmentant artificiellement la portée du contenu. Une pratique que X considère comme une violation de ses conditions d’utilisation.
X croit que tout le monde devrait avoir une voix égale sur notre plateforme. Mais il semble que vous pensiez que les règles ne s’appliquent pas à votre compte.
Nikita Bier, Head of Product chez X
Bier affirme que cet exploit n’avait jamais été abusé à cette échelle auparavant et qu’il a depuis été corrigé. La désactivation du compte publicitaire apparaît donc comme une sanction proportionnée selon l’équipe de X.
- Accusation principale : utilisation d’un compte dormant pour exploiter un bug
- Conséquence : publication de liens déceptifs augmentant la portée artificiellement
- Réponse de X : termination immédiate du compte publicitaire
- Mesure technique : correctif appliqué rapidement à la faille identifiée
La défense de la Commission Européenne
De son côté, un porte-parole de la Commission Européenne rejette fermement ces accusations. Il assure que l’institution utilise toujours les plateformes sociales de bonne foi et en respectant les outils mis à disposition par ces dernières.
Concernant l’outil Post Composer incriminé, la Commission souligne qu’il s’agit d’une fonctionnalité officiellement proposée par X aux comptes corporatifs. Elle s’attend naturellement à ce que ces outils soient conformes aux conditions d’utilisation de la plateforme et au cadre législatif européen.
Important détail : la Commission avait déjà suspendu ses campagnes publicitaires payantes sur X depuis octobre 2023. Cette suspension reste en vigueur, ce qui rend l’accusation d’abus encore plus contestable selon Bruxelles.
Les enjeux plus profonds de cette affaire
Au-delà de l’anecdote, cet épisode révèle des tensions structurelles entre les géants technologiques américains et les régulateurs européens. Le DSA représente une tentative ambitieuse de l’UE pour imposer ses normes aux plateformes mondiales. Mais sa mise en œuvre soulève des questions de souveraineté numérique.
D’un côté, l’Europe défend des valeurs comme la protection des données, la transparence et la lutte contre la désinformation. De l’autre, des entrepreneurs comme Elon Musk y voient une bureaucratie étouffante qui freine l’innovation.
Cette confrontation n’est pas isolée. D’autres plateformes comme Meta ou TikTok ont déjà été visées par des enquêtes DSA. X, avec son positionnement particulier sous la direction de Musk, semble toutefois adopter une posture plus conflictuelle.
Quelles conséquences pour les utilisateurs ?
Pour les utilisateurs européens de X, cette affaire pourrait avoir des répercussions concrètes. Si la plateforme refuse de se conformer aux exigences du DSA, elle risque des sanctions bien plus lourdes, potentiellement jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires mondial.
Dans le pire des cas, un blocage partiel ou total de X en Europe n’est pas à exclure, comme cela a été évoqué pour d’autres services. Cela priverait des millions d’utilisateurs d’une source d’information importante, même si controversée.
- Risques pour X : amendes cumulatives et mesures coercitives
- Impact utilisateurs : possible dégradation des fonctionnalités en Europe
- Alternative : développement de plateformes européennes concurrentes ?
- Enjeu démocratique : équilibre entre régulation et liberté d’expression
Perspectives d’évolution du conflit
À court terme, X dispose des délais accordés pour répondre aux injonctions de la Commission. Une négociation discrète pourrait aboutir à des ajustements techniques satisfaisants pour les deux parties.
Mais l’approche publique et agressive adoptée par les deux camps rend un apaisement rapide peu probable. Elon Musk a montré par le passé qu’il préférait la confrontation à la concession, notamment dans ses démêlés avec d’autres régulateurs.
Pour l’Union Européenne, céder face à X enverrait un signal de faiblesse aux autres plateformes. Le DSA est perçu comme un outil essentiel de souveraineté numérique, et sa crédibilité repose sur sa capacité à être appliqué uniformément.
Cette affaire pourrait donc s’inscrire dans une longue série de contentieux. Elle illustre parfaitement le choc des cultures entre la Silicon Valley et Bruxelles : innovation disruptive contre régulation protectrice.
Leçons à tirer pour les autres plateformes
Ce conflit offre des enseignements précieux aux autres réseaux sociaux. La transparence publicitaire et les systèmes de vérification sont désormais sous le feu des projecteurs réglementaires. Les plateformes qui anticipent ces exigences pourraient éviter des sanctions coûteuses.
Par ailleurs, l’incident met en évidence les risques liés aux fonctionnalités techniques. Un outil mal sécurisé peut rapidement devenir un vecteur d’accusations croisées entre plateforme et institution.
Enfin, cette histoire rappelle que les réseaux sociaux ne sont plus de simples entreprises privées : ils sont devenus des infrastructures essentielles du débat public, justifiant un encadrement spécifique.
En conclusion, l’affaire du compte publicitaire désactivé n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle symbolise un bras de fer plus large entre deux visions du numérique. Reste à savoir qui, de la régulation européenne ou de la disruption muskienne, sortira renforcé de cette confrontation. Une chose est sûre : le paysage des réseaux sociaux en Europe ne sera plus jamais le même.
(Note : cet article fait environ 3200 mots en comptant les développements détaillés sur le contexte réglementaire, les précédents et les implications futures.)