Le 30 novembre 2022, personne n’imaginait que quelques lignes de code allaient déclencher l’une des plus grandes frénésies technologiques de l’histoire. OpenAI publiait discrètement « un modèle appelé ChatGPT qui interagit de façon conversationnelle ». Trois ans plus tard, cette phrase anodine résonne comme l’annonce d’une révolution comparable à l’invention d’Internet.
Trois ans qui ont tout changé
ChatGPT n’était pas le premier modèle de langage. GPT-3 existait déjà, tout comme d’autres outils d’OpenAI. Mais quelque chose de magique s’est produit : l’interface conversationnelle, simple, gratuite au départ, a touché des centaines de millions de personnes en quelques semaines seulement.
En janvier 2023, il devenait l’application grand public qui avait connu la croissance la plus rapide de l’histoire. Plus rapide que TikTok. Plus rapide qu’Instagram. Un phénomène culturel autant que technologique.
Les chiffres qui donnent le vertige
Trois ans après, les statistiques parlent d’elles-mêmes :
- ChatGPT reste numéro 1 des applications gratuites sur l’App Store en novembre 2025
- Plus de 400 millions d’utilisateurs actifs hebdomadaires (chiffres OpenAI)
- Le trafic web d’OpenAI dépasse celui de nombreux géants du web
- L’entreprise est valorisée à plus de 150 milliards de dollars
- Nvidia, principal fournisseur de puces, a vu son action grimper de 979 % depuis le lancement
Ce dernier chiffre mérite qu’on s’y arrête. Presque mille pour cent. En trois ans. Une performance qui rappelle les plus belles heures de la bulle internet.
Le marché boursier sous emprise IA
Depuis novembre 2022, les sept entreprises les plus valorisées du S&P 500 sont toutes liées à l’intelligence artificielle : Nvidia, Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon, Meta et Broadcom. Ensemble, elles représentent désormais 35 % de l’indice, contre 20 % il y a trois ans.
| Entreprise | Position S&P 500 | Poids actuel |
| Nvidia | 1ère ou 2e | ~9 % |
| Microsoft | Top 3 | ~7 % |
| Apple | Top 3 | ~7 % |
| Les 7 ensemble | – | 35 % |
Ce concentration inédite inquiète les analystes. Quand sept valeurs portent presque la moitié de la progression d’un indice entier, on parle de top-heaviness extrême. Le marché repose sur un socle très étroit.
« Quelqu’un va perdre une quantité phénoménale d’argent dans l’IA »
Sam Altman, CEO d’OpenAI – août 2025
Une bulle ? Même les patrons le disent
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que plus personne ne nie sérieusement l’existence d’une bulle. Pas même les principaux intéressés.
Bret Taylor, président du conseil d’OpenAI et CEO de Sierra, compare la situation actuelle à la frénésie dot-com de la fin des années 90 : « Nous sommes dans une bulle, mais comme Internet à l’époque, l’IA transformera l’économie et créera une valeur immense à long terme. »
Jensen Huang, le patron de Nvidia, reste l’un des rares à garder un enthousiasme sans nuance. Tous les autres, même les plus optimistes, reconnaissent la surchauffe.
L’angoisse d’une génération
Au-delà des cours boursiers, c’est toute une société qui retient son souffle.
Charlie Warzel, dans The Atlantic, parle d’un « monde construit par ChatGPT » où règne une précarité particulière. Les jeunes diplômés entrent sur un marché du travail où on leur répète que leurs compétences pourraient devenir obsolètes avant même d’avoir été utilisées.
Les seniors, eux, voient arriver une technologie capable de remplacer des décennies d’expérience en quelques mois. L’expression « skills become obsolete » n’a jamais été aussi concrète.
« Nous vivons dans l’attente permanente qu’une chaussure tombe »
Charlie Warzel, The Atlantic
OpenAI, plus puissante qu’un État ?
Karen Hao, auteure de Empire of AI, va plus loin. Selon elle, OpenAI est déjà « plus puissante que quasiment n’importe quel État-nation » et « recâble la géopolitique mondiale ».
L’entreprise négocie directement avec des gouvernements pour l’implantation de super-clusters de calcul, influence les politiques énergétiques (consommation électrique colossale), et ses modèles sont intégrés dans des outils militaires, éducatifs, médicaux… partout.
Une startup de San Francisco, fondée il y a moins de dix ans, pèse aujourd’hui plus lourd dans les équilibres mondiaux que bien des ministères.
Et dans trois ans ?
La grande question reste ouverte. En 2028, regardera-t-on cette période comme :
- Le début d’une nouvelle ère industrielle (comme Internet en 2000 malgré l’explosion de la bulle) ?
- Ou comme un gigantesque feu de paille technologique ?
Les paris sont ouverts. Les investisseurs misent des centaines de milliards. Les États réécrivent leurs lois. Les étudiants choisissent (ou évitent) certaines filières en fonction de l’IA.
Tout le monde attend le prochain modèle, le prochain breakthrough, le prochain « moment ChatGPT » qui dira si nous sommes au début de quelque chose d’historique… ou au sommet d’une montagne russe.
Une chose est sûre : le 30 novembre 2022 a marqué un point de non-retour. Le monde d’avant ChatGPT n’existe plus. Celui d’après reste à inventer.
Et vous, dans quel camp êtes-vous ? Celui qui pense que nous vivons les prémices d’une singularité technologique… ou celui qui voit déjà les premiers signes d’un krach annoncé ?
La réponse, dans trois ans peut-être. Ou beaucoup plus tôt.
