Imaginez un réacteur nucléaire qui tient dans un conteneur de 40 pieds, capable d’alimenter une base lunaire, un porte-conteneurs ou un data center isolé sans émettre le moindre gramme de CO₂. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est le pari fou d’Antares, une startup qui vient de boucler une levée de fonds spectaculaire de 96 millions de dollars.
Dans un monde où l’intelligence artificielle dévore l’électricité et où les géants du numérique cherchent désespérément des sources d’énergie propres et fiables 24h/24, le nucléaire de nouvelle génération revient en force. Et cette fois, ce ne sont plus les mastodontes de plusieurs gigawatts, mais de minuscules réacteurs ultra-sécurisés qui font rêver les investisseurs.
Antares : la pépite qui veut réinventer le nucléaire partout
Créée il y a seulement quelques années, Antares développe le microréacteur R1, une machine capable de produire entre 100 kW et 1 MW d’électricité. L’objectif ? Être déployé là où les réseaux électriques classiques ne vont pas : bases militaires avancées, navires, plateformes offshore, mines isolées… et même la Lune ou Mars.
Le secret de cette ambition démesurée repose sur une technologie déjà éprouvée : le combustible TRISO (TRi-structural ISOtropic). Ces petites billes d’uranium enrichi enrobées de couches de carbone et de céramique résistent à des températures extrêmes et empêchent quasiment toute fuite radioactive même en cas d’accident grave.
« Nous construisons le réacteur le plus sûr, le plus flexible et le plus rapidement déployable jamais conçu »
L’équipe fondatrice d’Antares
Une levée de fonds qui en dit long sur l’appétit des investisseurs
Le 2 décembre 2025, Antares a annoncé avoir clos son tour de Series B à hauteur de 96 millions de dollars. Le détail de l’opération est intéressant : 71 millions en equity et 25 millions en dette, preuve que les investisseurs croient dur comme fer au business model.
À la tête du round, on retrouve Shine Capital, accompagné par Alt Capital, Caffeinated Capital, FiftyThree Stations ou encore Industrious Ventures. Des noms qui sentent bon la Silicon Valley et la conviction que le nucléaire nouvelle génération va devenir un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars d’ici 2035.
- Shine Capital : lead investor
- Alt Capital : spécialiste de l’énergie
- Caffeinated Capital : connu pour ses paris audacieux
- FiftyThree Stations et Industrious Ventures : focus climat et infrastructure
Pourquoi maintenant ? Le grand retour en grâce du nucléaire
Depuis 18 mois, le secteur du nucléaire vit une renaissance que personne n’avait vu venir. Les data centers d’IA consomment autant qu’un pays entier, les objectifs de neutralité carbone 2050 deviennent concrets, et les énergies renouvelables intermittentes montrent leurs limites pour fournir une électricité bas carbone en continu.
Conséquence : les levées de fonds explosent dans le nucléaire avancé.
| Startup | Montant levé récemment | Technologie |
| X-energy | 700 M$ (Series D) | Réacteur TRISO |
| Aalo Atomics | 100 M$ | Microréacteur data center |
| TerraPower | 650 M$ (avec Nvidia) | SMR Natrium |
| Deep Fission | Introduction en bourse | Réacteur souterrain |
| Antares | 96 M$ | Microréacteur R1 multi-environnements |
Et ce n’est pas tout : Amazon, Google, Microsoft et Meta signent tous des accords géants pour s’alimenter en électricité nucléaire. Microsoft veut même relancer Three Mile Island, Google négocie la réouverture d’une centrale en Iowa… Le signal est clair : le nucléaire n’est plus tabou.
Le microréacteur R1 : petites tailles, grandes ambitions
Le réacteur d’Antares est conçu pour être transporté par camion, avion ou bateau. Pas besoin de décennies de chantier ni de milliards de dollars : l’idée est de le fabriquer en usine, de l’expédier et de le brancher en quelques mois seulement.
Ses caractéristiques techniques font rêver :
- Puissance réglable de 100 kW à 1 MW
- Autonomie de 10 à 20 ans sans rechargement
- Refroidissement passif (aucun pompe active en cas d’urgence)
- Combustible TRISO pratiquement indestructible
- Certification envisagée pour usage terrestre, maritime et… spatial
Oui, vous avez bien lu : spatial. Antares travaille déjà avec la NASA et le Department of Energy américain pour qualifier son réacteur pour des missions lunaires dans le cadre du programme Artemis. Un réacteur qui pourrait alimenter une base permanente sur la Lune d’ici la fin de la décennie.
Un calendrier ultra-ambitieux soutenu par l’État américain
Antares fait partie des 11 entreprises sélectionnées par le Department of Energy pour son programme accéléré de démonstration. L’objectif officiel ? Avoir au moins trois microréacteurs en fonctionnement d’ici le… 4 juillet 2026 ! Un rythme complètement fou pour l’industrie nucléaire habituée à des délais de 10-15 ans.
Le calendrier annoncé par la startup :
- 2026 : démonstrateur pour le DOE
- 2027 : premier réacteur à pleine puissance opérationnel
- 2028-2030 : premières commandes commerciales (défense, offshore, data centers)
- 2030+ : versions spatiales qualifiées
Les marchés visés : de la défense à l’espace
Antares ne se contente pas du marché civil. La startup lorgne ouvertement sur les contrats militaires (bases avancées, navires non-nucléaires) et spatiaux. Dans un contexte géopolitique tendu, disposer d’une source d’énergie autonome et indétectable devient un avantage stratégique majeur.
Les applications commerciales ne manquent pas non plus :
- Data centers hyperscale en zones isolées
- Mines et sites industriels hors réseau
- Navires marchands souhaitant décarboner
- Îles et communautés isolées
- Stations de recharge rapide pour véhicules lourds
Les défis qui restent à relever
Tout n’est pas encore gagné. Même si le TRISO est extrêmement sûr, le mot « nucléaire » reste chargé émotionnellement. Convaincre les régulateurs, les populations locales et les assureurs demandera un travail titanesque.
Les principaux obstacles :
- Obtention des autorisations (NRC aux États-Unis)
- Acceptabilité sociale, même pour des réacteurs de très petite taille
- Coût final du kWh (doit être compétitif face au gaz et aux renouvelables + batteries)
- Recyclage du combustible usé
Mais avec le soutien du gouvernement américain et l’urgence climatique, les vents sont favorables.
Et la France dans tout ça ?
Pendant que les États-Unis misent à fond sur les startups du nucléaire avancé, la France reste focalisée sur ses grands réacteurs EPR et le projet Astrid (réacteurs à neutrons rapides). Pourtant, des acteurs comme Jimmy Energy, Newcleo ou Naarea tentent de lancer des microréacteurs « made in France ».
Le risque ? Se faire distancer sur ce segment ultra-stratégique par les Américains… comme pour les batteries ou les panneaux solaires il y a 15 ans.
Conclusion : le nucléaire portable est-il l’avenir ?
Avec Antares, on assiste peut-être à la naissance d’une nouvelle industrie : celle des réacteurs nucléaires « plug and play ». Des machines qui s’installent en quelques mois, fonctionnent 20 ans sans intervention et repartent en usine pour recyclage.
Si la startup parvient à tenir ses promesses techniques et réglementaires, elle pourrait devenir l’un des leaders mondiaux d’un marché estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars d’ici 2040.
Une chose est sûre : le nucléaire n’a jamais été aussi excitant qu’aujourd’hui. Et cette fois, il tient dans un conteneur.