Et si une petite ville nichée dans les contreforts de l’Himalaya devenait le berceau d’une révolution climatique ? En 2020, deux frères, confrontés à la faillite de leur exploitation familiale de thé à Darjeeling, ont transformé une crise en opportunité. Leur startup, Alt Carbon, vient de lever 12 millions de dollars pour développer une solution innovante de capture de carbone grâce à l’enhanced rock weathering. Cette technologie, qui utilise des roches pour piéger le CO2, pourrait non seulement sauver des terres agricoles, mais aussi redéfinir la lutte contre le changement climatique en Inde.
Une Startup Indienne au Cœur de la Révolution Climatique
L’histoire d’Alt Carbon commence par un retour aux sources. Shrey et Sparsh Agarwal, deux frères originaires de Kolkata, ont parcouru 16 heures de route pour rejoindre leur domaine familial à Darjeeling, menacé de faillite. Ce voyage, initialement prévu pour dire adieu à leur héritage, a donné naissance à une vision audacieuse : transformer les terres agricoles en alliées de la lutte contre le réchauffement climatique. Fondée en 2023, Alt Carbon s’appuie sur une méthode scientifique pour capturer le carbone tout en revitalisant les sols.
Qu’est-ce que l’Enhanced Rock Weathering ?
L’altération renforcée des roches (ou enhanced rock weathering) est une technique qui exploite les propriétés chimiques des roches volcaniques, comme le basalte, pour capturer le dioxyde de carbone. En épandant de la poussière de basalte, un déchet issu de l’industrie de la construction, sur les champs agricoles, Alt Carbon déclenche une réaction naturelle avec l’eau de pluie. Cette interaction transforme le CO2 en ions bicarbonates, qui se stabilisent dans le sol avant de rejoindre les océans, où ils se fixent sous forme de carbonate de calcium pour plus de 10 000 ans.
Notre solution ne se contente pas de capturer le carbone ; elle améliore la fertilité des sols et les rendements agricoles.
Sparsh Agarwal, co-fondateur d’Alt Carbon
Ce processus ne se limite pas à la capture de carbone. En enrichissant les sols en micronutriments, il améliore la santé des terres et augmente les rendements des cultures, offrant ainsi un double bénéfice pour les agriculteurs. Alt Carbon a baptisé son mélange unique de basalte et d’ingrédients organiques Hari Maati (terre verte en hindi), un nom qui reflète son ambition de reverdir l’agriculture indienne.
Un Début Prometteur à Darjeeling
Le projet a démarré sur 200 hectares autour de l’exploitation familiale des Agarwal, à Salem Hill. Ce pilote initial, axé sur les plantations de thé, s’est rapidement étendu à d’autres cultures comme le riz et le bambou dans le nord du Bengale. Aujourd’hui, Alt Carbon ambitionne de couvrir 500 000 hectares et de retirer 5 millions de tonnes de carbone d’ici 2030. Une ambition colossale pour une startup qui n’a que deux ans d’existence !
Pour atteindre cet objectif, l’entreprise s’appuie sur une logistique bien pensée. La poussière de basalte, issue des carrières des Rajmahal Traps, est transportée par rail et camions diesel, intégrée aux circuits existants de l’industrie du thé pour limiter les émissions. Cette approche pragmatique permet de réduire les coûts tout en maximisant l’impact environnemental.
Une Levée de Fonds Stratégique
La récente levée de fonds de 12 millions de dollars, menée par Lachy Groom, co-fondateur de Physical Intelligence, marque un tournant pour Alt Carbon. Cette injection de capital permettra d’élargir les laboratoires de Darjeeling et Bengaluru, où une équipe de 25 personnes, dont 8 à 10 docteurs, travaille à affiner la technologie. L’entreprise prévoit également de déployer des capteurs et des techniques de remote sensing pour collecter des données plus précises à moindre coût.
En complément, Alt Carbon a sécurisé des engagements financiers majeurs, comme un pré-achat de 500 000 dollars par Frontier et un engagement d’un milliard de dollars de la part de géants comme Stripe, Alphabet, Meta et Shopify. Ces partenariats témoignent de la confiance des acteurs mondiaux dans le potentiel de cette startup indienne.
Un Modèle Économique Innovant
Alt Carbon se distingue également par son modèle économique. Ses crédits carbone, estimés à 270 dollars par tonne, sont bien plus abordables que ceux issus de la capture directe de l’air, qui atteignent environ 800 dollars la tonne. L’entreprise prévoit de réduire encore ces coûts d’ici trois à quatre ans, rendant sa solution encore plus compétitive.
Pour garantir la fiabilité de ses crédits, Alt Carbon s’appuie sur des protocoles rigoureux. Trois niveaux de mesure sont utilisés : suivi de l’altération des roches, analyse de l’eau dans les sols et les rivières, et modélisation avancée basée sur l’intelligence artificielle. Ces méthodes respectent les normes des registres de crédits carbone comme Isometric et Puro.earth, et ont reçu l’approbation d’organisations internationales telles que SBTi et CORSIA.
Les Défis de l’Expansion
Si Alt Carbon impressionne par son ambition, elle doit relever plusieurs défis. Étendre la technologie à grande échelle nécessite une coordination logistique complexe, notamment pour transporter la poussière de basalte sur des centaines de milliers d’hectares. Convaincre les agriculteurs, souvent réticents à adopter de nouvelles pratiques, est également crucial. C’est là qu’intervient Hari Maati, conçu pour séduire par ses bénéfices agricoles immédiats.
De plus, la startup doit maintenir la transparence et la crédibilité de ses crédits carbone dans un marché souvent critiqué pour ses “crédits de mauvaise qualité”. En s’alignant sur des standards internationaux et en investissant dans la recherche, Alt Carbon semble bien positionnée pour surmonter ces obstacles.
Un Impact au-delà de l’Inde
Le modèle d’Alt Carbon pourrait inspirer d’autres régions du monde. En combinant capture de carbone et amélioration des sols, la startup propose une solution qui répond à deux enjeux majeurs : le changement climatique et la sécurité alimentaire. Son approche, ancrée dans les réalités locales, pourrait être adaptée à d’autres pays agricoles confrontés à des défis similaires.
Nous voulons transformer chaque hectare de terre en un outil de lutte contre le changement climatique.
Shrey Agarwal, co-fondateur d’Alt Carbon
Des partenariats récents, comme celui avec NextGen (incluant BCG Group, Swiss RE et UBS) et un contrat avec le japonais MOL Group pour 10 000 tonnes de crédits carbone, montrent que l’influence d’Alt Carbon dépasse déjà les frontières indiennes.
Pourquoi Alt Carbon Compte ?
Alt Carbon n’est pas seulement une startup climatique ; elle incarne une nouvelle façon de penser l’agriculture et la lutte contre le réchauffement climatique. Voici pourquoi elle mérite l’attention :
- Solution à double impact : Capture le carbone tout en améliorant les sols.
- Modèle économique viable : Crédits carbone abordables et compétitifs.
- Innovation locale : Une technologie adaptée aux réalités indiennes.
- Partenariats stratégiques : Soutien de géants comme Stripe et Meta.
Perspectives d’Avenir
Avec sa levée de fonds et ses partenariats, Alt Carbon est prête à accélérer. L’entreprise prévoit d’investir dans des capteurs de pointe et des laboratoires pour collecter des données plus précises. Elle envisage également de créer un hardware studio pour optimiser ses outils de mesure. Ces avancées pourraient non seulement améliorer l’efficacité de l’enhanced rock weathering, mais aussi inspirer d’autres startups climatiques.
Aspect | Détails | Impact |
Technologie | Altération renforcée des roches | Capture CO2 pour 10 000 ans |
Coût | 270 $ par tonne | Plus abordable que la capture directe |
Échelle | 500 000 hectares d’ici 2030 | Retrait de 5M tonnes de carbone |
Partenariats | Stripe, Alphabet, MOL Group | Visibilité et crédibilité mondiale |
Alt Carbon illustre comment une idée née dans une petite ville peut avoir un impact mondial. En transformant les déchets de l’industrie en outils de lutte contre le changement climatique, cette startup prouve que l’innovation peut naître là où on l’attend le moins. Alors que le monde cherche des solutions durables, Alt Carbon pourrait bien montrer la voie, hectare par hectare.