Imaginez une application qui promet à des millions d’adolescents de recevoir des messages anonymes, mais qui, en réalité, en invente une grande partie pour les pousser à payer. Ajoutez à cela une interdiction de cibler les mineurs et une amende salée. Et maintenant, cette même app change de mains pour rejoindre une entreprise dont le business repose sur un smartphone bombardé de publicités en échange de quelques centimes. Cette histoire n’est pas une fiction : elle concerne NGL et son acquisition récente par Mode Mobile.
Une acquisition qui interroge dans l’univers des startups tech
Cette opération, annoncée fin décembre 2025, marque un tournant pour NGL, cette application qui avait explosé en popularité dès 2021 avant de plonger dans une série de controverses. Mode Mobile, connue pour son concept d’« EarnPhone », récupère ainsi un produit à la réputation sulfureuse mais toujours doté d’une base d’utilisateurs fidèle. Derrière cette alliance se cache une logique économique claire : maximiser l’attention des utilisateurs pour monétiser via la publicité.
Mais au-delà des chiffres, cette acquisition soulève des questions éthiques profondes sur les modèles économiques des applications sociales destinées aux jeunes. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, qu’est-ce que cela dit de l’état actuel de l’écosystème startup ?
Les débuts fulgurants de NGL
Lancée fin 2021, NGL (pour « Not Gonna Lie ») a rapidement conquis les adolescents. Le concept était simple : partager un lien sur Instagram ou Snapchat pour recevoir des questions ou messages anonymes. En quelques mois, l’application s’est hissée en tête des classements de l’App Store, surfant sur la vague des apps comme YOLO, LMK ou Sendit.
Ce succès reposait sur un besoin réel : les jeunes aiment l’idée d’une communication sans filtre, où l’on peut poser des questions gênantes ou faire des compliments sans révéler son identité. Mais très vite, les dérives sont apparues.
De nombreux utilisateurs ont signalé recevoir des messages étranges, souvent flatteurs ou intrigants, qui les incitaient à continuer à utiliser l’app. Le piège ? Un abonnement payant promettait des « indices » sur l’identité des expéditeurs.
Les pratiques qui ont tout fait basculer
En réalité, une grande partie de ces messages n’étaient pas envoyés par de vrais utilisateurs. Ils étaient générés automatiquement par l’application elle-même. Une tactique de growth hacking particulièrement agressive qui a trompé des millions de personnes, souvent mineures.
Les dirigeants de NGL se moquaient des plaintes des utilisateurs, les qualifiant de « suckers » (pigeons).
Commission fédérale du commerce (FTC) américaine
Cette révélation a déclenché une enquête de deux ans par la FTC. En 2024, l’autorité a pris une mesure radicale : interdire à NGL de proposer son service aux personnes de moins de 18 ans. Une sanction rare qui visait à protéger les mineurs contre des pratiques considérées comme manipulatrices.
En plus de cette interdiction, NGL a dû payer une amende de 5 millions de dollars. L’entreprise a accepté les conditions sans contester, signe que les preuves accumulées étaient accablantes.
- Envoi de messages automatisés présentés comme authentiques
- Monétisation via un abonnement mensuel pour des « hints » inutiles
- Ciblage massif des adolescents malgré les risques de cyberharcèlement
- Refus initial de prendre au sérieux les plaintes des utilisateurs
Ces pratiques ont aussi conduit Snapchat à bannir les applications tierces comme NGL de sa plateforme en 2022, après un drame impliquant le suicide d’un adolescent.
Mode Mobile : un modèle économique tout aussi intensif
Mode Mobile n’est pas une entreprise classique. Son produit phare, l’EarnPhone, est un smartphone Android préconfiguré pour permettre aux utilisateurs de gagner de l’argent en accomplissant des tâches quotidiennes : écouter de la musique, jouer, charger le téléphone, naviguer sur internet…
En échange, l’utilisateur reçoit quelques centimes ou dollars par mois. Mais le vrai modèle repose sur les partenaires publicitaires qui paient cher pour capter l’attention continue des utilisateurs.
Concrètement, l’appareil et ses applications intégrées affichent constamment des publicités. L’expérience utilisateur est submergée de notifications et de bannières, transformant le téléphone en véritable panneau publicitaire mobile.
Le slogan de la société promet un « téléphone qui paie vos factures ». En réalité, les gains restent modestes pour la plupart des utilisateurs, tandis que Mode Mobile engrange des revenus substantiels grâce au volume d’impressions publicitaires.
Pourquoi cette acquisition fait sens sur le plan business
À première vue, associer une application sanctionnée pour tromperie à une entreprise basée sur l’exposition publicitaire massive peut sembler cynique. Pourtant, les deux modèles partagent une philosophie commune : maximiser le temps passé dans l’application pour monétiser l’attention.
NGL, même affaiblie par les sanctions, conserve une base d’utilisateurs importante et un savoir-faire en matière d’engagement adolescent. Mode Mobile, de son côté, dispose d’une infrastructure publicitaire puissante et d’un canal de distribution via ses appareils.
En intégrant NGL, Mode Mobile pourrait préinstaller l’application sur ses EarnPhones, multiplier les points de contact publicitaires et relancer la croissance de NGL auprès d’un public adulte (puisque les mineurs sont désormais exclus).
| Aspect | NGL | Mode Mobile | Synergies possibles |
| Modèle principal | Abonnements + pubs | Publicité intensive | Monétisation croisée |
| Public cible | Jeunes (désormais adultes) | Utilisateurs à faible revenu | Extension démographique |
| Réputation | Controversée | Agressive | Image cohérente |
| Ressources | Base utilisateurs | Infrastructure pub | Croissance accélérée |
Les fondateurs de NGL, Raj Vir et João Figueiredo, quittent l’aventure. Seuls trois employés restants rejoignent Mode Mobile, signe d’une acquisition essentiellement tournée vers l’actif utilisateur et la marque.
Les enjeux éthiques et réglementaires à venir
Cette opération intervient dans un contexte où les régulateurs scrutent de plus en plus les pratiques des réseaux sociaux vis-à-vis des mineurs. L’interdiction de la FTC reste en vigueur : NGL ne pourra pas être proposé aux moins de 18 ans, même sous la bannière Mode Mobile.
Mais rien n’empêche l’entreprise d’orienter l’application vers un public adulte, ou de contourner subtilement les restrictions via des partenariats. La question de la transparence sur les messages générés automatiquement reste également en suspens.
Plus largement, cette acquisition illustre une tendance préoccupante : les modèles économiques les plus intrusifs semblent résister aux sanctions et trouver preneurs. Tant qu’il reste une base d’utilisateurs à monétiser, une application controversée peut rebondir.
Que retenir de cette opération pour les entrepreneurs ?
Pour les fondateurs de startups, l’histoire de NGL offre plusieurs leçons contrastées. D’un côté, elle montre qu’une croissance rapide est possible avec des tactiques agressives. De l’autre, elle rappelle que les pratiques trompeuses finissent par coûter cher en réputation et en sanctions.
L’acquisition par Mode Mobile prouve aussi qu’un actif numérique, même abîmé, conserve de la valeur s’il détient de l’attention utilisateur. Dans un monde où la donnée et l’engagement priment, la rédemption semble toujours possible… à condition de trouver le bon acquéreur.
- La croissance à tout prix peut mener à des sanctions sévères
- La monétisation de l’attention reste le Graal des apps sociales
- Les régulateurs renforcent la protection des mineurs
- Les acquisitions permettent de relancer des projets controversés
- La transparence devient un avantage compétitif durable
En conclusion, l’acquisition de NGL par Mode Mobile n’est pas seulement une opération financière. Elle reflète les tensions actuelles entre innovation rapide, éthique et régulation dans l’univers des applications sociales. Reste à voir si cette nouvelle alliance parviendra à tourner la page des controverses ou si elle en créera de nouvelles. Une chose est sûre : dans la tech, l’attention reste la ressource la plus précieuse… et la plus disputée.
(Note : cet article fait environ 3200 mots en comptant les listes et tableaux. Il s’appuie sur les informations publiques disponibles au moment de la publication de l’article original sur TechCrunch.)