Imaginez gérer une association caritative qui aide des milliers de personnes, avec des dons qui affluent de partout, mais des outils financiers dignes des années 90. Factures perdues, rapports interminables, risques de non-conformité fiscale… C’est le quotidien de millions d’organismes à but non lucratif. Et si une solution moderne, pensée exclusivement pour eux, changeait tout ?

C’est précisément le pari de Givefront, une startup qui fait déjà parler d’elle. Fondée par deux jeunes de 21 ans ayant abandonné de prestigieuses universités américaines, elle vient de boucler une levée de fonds de 2 millions de dollars. Leur ambition ? Apporter à ce secteur oublié de la fintech les mêmes innovations que Brex ou Ramp ont apportées aux entreprises classiques.

Givefront : la fintech qui veut moderniser les associations

Le secteur non lucratif représente une part colossale de l’économie américaine. Près de 6 % du PIB national, soit des trillions de dollars chaque année. Pourtant, la plupart des associations, fondations, églises ou refuges pour animaux continuent d’utiliser des logiciels obsolètes, lourds et mal adaptés à leurs contraintes spécifiques.

Givefront arrive avec une promesse claire : offrir une plateforme financière complète, conçue dès le départ pour les réalités du monde associatif. Cartes de paiement intelligentes, contrôle des dépenses en temps réel, suivi des subventions, automatisation des rapports… Tout ce que les entreprises profitent depuis des années, mais adapté aux règles strictes qui régissent les organismes exonérés d’impôts.

Des fondateurs atypiques et déterminés

À la tête de Givefront, on trouve Matt Tengtrakool et Aidan Sunbury. Le premier a quitté Harvard, le second l’Université de Californie à Berkeley. À seulement 21 ans, ils dirigent déjà une équipe qui inclut même un ingénieur fondateur de… 17 ans.

Matt Tengtrakool n’est pas tombé dans la fintech par hasard. Passionné par les systèmes financiers, il a d’abord lancé une plateforme d’agrégation de micro-prêts au Nigeria. Puis, pendant ses études, il s’est impliqué dans plusieurs associations étudiantes, jusqu’à en diriger certaines et faire grimper les dons à près de 500 000 dollars.

J’ai toujours été intéressé par les systèmes financiers, et ce travail s’inscrivait naturellement dans cette passion. En aidant à gérer ces associations avec d’autres étudiants, nous avons réalisé que la plupart n’avaient pas d’outils financiers adéquats pour assurer la conformité ou protéger leur statut fiscal exonéré.

Matt Tengtrakool, CEO de Givefront

C’est cette expérience terrain qui a révélé le fossé immense entre les besoins réels des associations et les solutions disponibles. Les outils existants étaient totalement déconnectés des standards modernes du monde startup.

La première version de Givefront est née presque par accident : un outil interne pour simplifier la gestion des organisations que Matt aidait. Très vite, d’autres associations locales ont voulu l’utiliser. Le projet a pris de l’ampleur, jusqu’à devenir une plateforme nationale dédiée exclusivement aux quelque 1,9 million d’organismes non lucratifs enregistrés aux États-Unis.

Un pivot stratégique après Y Combinator

Givefront a intégré le batch Winter 2024 de Y Combinator avec une vision large : banking, comptabilité, tout-en-un. Mais la réalité du terrain a vite rattrapé l’équipe. Convaincre une association de changer de banque ou de comptable s’avère extrêmement long et complexe.

Le pivot a été rapide et décisif : se concentrer d’abord sur les cartes de paiement et la gestion des dépenses. Pourquoi ? Parce que changer de carte est beaucoup plus simple et rapide que de migrer toute une comptabilité.

Ce choix s’est révélé payant. En quelques mois seulement, des centaines d’organisations ont adopté les cartes Givefront. La croissance mensuelle dépasse les 200 % en volume de paiements et en revenus. L’objectif : atteindre 1 000 clients d’ici fin 2025, puis 5 000 mi-2026.

Des fonctionnalités taillées pour le non-profit

Ce qui distingue vraiment Givefront des plateformes comme Ramp ou Brex, c’est son focus exclusif sur les contraintes du secteur associatif. Les entreprises classiques n’ont pas à gérer des subventions restreintes, à justifier chaque dépense auprès de donateurs, ou à préparer des déclarations IRS complexes.

  • Suivi précis des fonds restreints et non restreints
  • Budgétisation par subvention avec alertes automatiques
  • Capture de reçus pour les audits
  • Workflows d’approbation adaptés aux bénévoles
  • Rapports automatisés pour les donateurs et fondations
  • Intégrations avec les logiciels legacy comme Blackbaud ou Sage

Au lieu de remplacer ces vieux systèmes, Givefront se positionne comme une couche moderne par-dessus. Une approche pragmatique qui facilite l’adoption.

Les églises et organisations religieuses forment aujourd’hui le segment le plus fervent. Beaucoup dépendent de trésoriers bénévoles sans formation financière. L’automatisation de Givefront leur fait gagner un temps précieux et réduit considérablement les risques d’erreur.

Une levée de fonds impressionnante pour des fondateurs si jeunes

Closing une levée de 2 millions de dollars à 21 ans n’est pas banal. Le tour a été mené par Script Capital, avec la participation de Y Combinator, C3 Ventures, Phoenix Fund et plusieurs anges prestigieux – dont les CEO de Chariot et Wealthfront.

Cette confiance des investisseurs montre que l’âge n’est plus un frein quand le produit répond à un vrai besoin. Bien sûr, certains responsables associatifs hésitent face à une équipe aussi jeune. Mais beaucoup y voient au contraire une fraîcheur et une compréhension native du digital.

Les fonds vont servir à accélérer la distribution, recruter, et enrichir l’offre cartes et paiement de factures. À terme, Givefront envisage d’ajouter paie, banking, budgétisation avancée, voire gestion de dotations et placements.

Pourquoi ce secteur était-il si négligé ?

Pendant que la fintech explosait pour les PME et startups, les associations sont restées à l’écart. Les raisons sont multiples.

  • Marché perçu comme moins rentable (interchange plus faible)
  • Complexité réglementaire décourageante
  • Cycles de vente longs et décision collective
  • Manque de compréhension des contraintes spécifiques
  • Domination de logiciels legacy très ancrés

Givefront casse ces barrières une à une. En commençant par un produit simple à adopter (les cartes), ils ouvrent la porte à une relation de confiance longue terme.

Le modèle économique repose sur l’interchange cartes et des abonnements liés au paiement de factures. Classique, mais efficace. Et surtout adapté à un secteur où chaque dollar compte.

Les défis à venir pour Givefront

Malgré les premiers succès, le chemin reste long. La concurrence des acteurs établis comme Blackbaud reste féroce. Convaincre les grandes fondations ou ONG internationales demandera du temps.

L’équipe devra aussi continuer à prouver que sa jeunesse est un atout et non un risque, surtout pour gérer des flux financiers sensibles. La sécurité et la conformité seront scrutées à la loupe.

Enfin, l’expansion géographique pourrait être une prochaine étape. Le modèle américain est particulier, mais de nombreux pays connaissent les mêmes problèmes : associations nombreuses, outils vétustes, besoin criant de modernisation.

Une inspiration pour la nouvelle génération d’entrepreneurs

L’histoire de Givefront rappelle que l’âge n’est qu’un chiffre quand on identifie un vrai problème et qu’on y apporte une solution pertinente. Matt et Aidan ont préféré l’action à un diplôme prestigieux, et les résultats parlent d’eux-mêmes.

Ils montrent aussi qu’il reste d’immenses opportunités dans des secteurs jugés “moins sexy” par la Silicon Valley. Quand tout le monde court après l’IA ou la crypto, attaquer un marché mature mais mal servi peut s’avérer extrêmement payant.

Leur parcours prouve enfin que l’expérience terrain vaut tous les cours théoriques. Avoir soi-même souffert du problème donne une légitimité unique pour le résoudre.

Conclusion : vers une révolution silencieuse du secteur non lucratif

Givefront n’en est qu’à ses débuts, mais les signaux sont déjà très encourageants. En apportant enfin la modernité fintech aux associations, la startup pourrait libérer des milliards d’heures de travail administratif et permettre à ces organisations de se concentrer sur leur mission première : aider les autres.

Si leur croissance se maintient, on pourrait assister à une transformation profonde d’un secteur qui pèse lourd dans l’économie et dans la société. Et tout ça grâce à deux jeunes qui ont osé voir ce que personne n’avait vu avant eux.

Une belle leçon d’entrepreneuriat, d’innovation ciblée, et de persévérance. À suivre de très près.

avatar d’auteur/autrice
Steven Soarez
Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.