Imaginez un monde où l’énergie renouvelable ne coûte plus la vie à des milliers d’oiseaux chaque année. Où les éoliennes, symboles de la transition écologique, cessent d’être une menace pour la biodiversité locale. C’est précisément le défi que relève une jeune entreprise norvégienne, en déployant une technologie aussi ingénieuse qu’essentielle.

Dans un contexte où la production d’électricité verte explose, les collisions aviaires restent un problème majeur. Des études estiment que rien qu’aux États-Unis, entre 140 000 et 500 000 oiseaux périssent annuellement en heurtant des turbines. En Europe, les réglementations se durcissent, forçant les opérateurs à trouver des solutions fiables. C’est ici qu’intervient une innovation venue du froid.

Spoor : quand l’intelligence artificielle surveille le ciel

Basée à Oslo, Spoor a été fondée en 2021 avec une mission claire : réduire l’impact des éoliennes sur les populations aviaires grâce à la vision par ordinateur. Son logiciel analyse en temps réel les images capturées par des caméras haute résolution ordinaires, détectant et identifiant les oiseaux jusqu’à 2,5 kilomètres de distance.

Ce n’est pas de la science-fiction. Le système permet aux exploitants de parcs éoliens d’anticiper les passages migratoires et d’ajuster automatiquement la vitesse des turbines, voire de les arrêter temporairement lors de pics d’activité aviaire. Une approche proactive qui remplace les méthodes traditionnelles souvent imprécises.

D’où vient cette idée salvatrice ?

Ask Helseth, cofondateur et PDG de Spoor, s’est lancé dans cette aventure après avoir découvert un paradoxe frustrant. Malgré des réglementations strictes dans de nombreux pays, l’industrie éolienne manquait cruellement d’outils efficaces pour monitorer les oiseaux.

« Les attentes des régulateurs augmentent, mais l’industrie n’a pas de bon outil. Beaucoup de gens sortent sur le terrain avec des jumelles et des chiens dressés pour compter les collisions. »

Ask Helseth, PDG de Spoor

Cette observation a poussé Helseth et son équipe à développer une solution technologique moderne. Plutôt que de compter sur l’observation humaine limitée et coûteuse, pourquoi ne pas confier cette tâche à une intelligence artificielle entraînée sur des millions d’images ?

Le résultat est impressionnant : une précision d’identification atteignant 96 %, fruit d’un entraînement continu alimenté par les données collectées sur le terrain. L’entreprise emploie même un ornithologue interne pour affiner la reconnaissance des espèces rares ou régionales.

Une technologie qui évolue rapidement

En l’espace de quelques années, Spoor a considérablement amélioré ses performances. Lors de sa levée de fonds seed en 2024, le rayon de détection n’était que d’un kilomètre. Aujourd’hui, il a plus que doublé, atteignant 2,5 kilomètres.

Cette progression s’explique par l’accumulation de données réelles. Plus le système est déployé, plus il apprend. Les déploiements dans différents pays enrichissent la base de données avec de nouvelles espèces, rendant l’algorithme toujours plus robuste.

  • Détection à 2,5 km avec des caméras standards
  • Précision d’identification avoisinant 96 %
  • Reconnaissance fine des espèces grâce à un expert interne
  • Adaptation continue aux environnements locaux

Ces avancées techniques transforment radicalement la manière dont les parcs éoliens gèrent leur impact environnemental. Au lieu de réagir après coup, ils peuvent désormais anticiper et prévenir.

Une adoption qui s’envole à travers le monde

Le marché répond présent. Spoor collabore déjà avec plus d’une vingtaine des plus grands énergéticiens mondiaux, sur trois continents. Des géants de l’énergie intègrent progressivement cette technologie dans leurs opérations quotidiennes.

Mais l’intérêt dépasse largement le secteur éolien initial. Les aéroports manifestent leur curiosité, conscients des risques que représentent les oiseaux pour l’aviation. Les fermes aquacoles norvégiennes explorent également des applications pour surveiller leur environnement marin.

Un partenariat notable lie Spoor à Rio Tinto, géant minier anglo-australien. Objectif : adapter la technologie pour suivre les populations de chauves-souris autour des sites miniers. Preuve que la plateforme possède un potentiel bien plus large que prévu.

Une levée de fonds qui confirme l’engouement

En décembre 2025, Spoor annonce une Series A de 8 millions d’euros, équivalant à environ 9,3 millions de dollars. Un tour de table mené par SET Ventures, spécialiste de l’énergie durable, avec la participation d’investisseurs stratégiques comme Ørsted Ventures et EnBW New Ventures.

Superorganism, fonds dédié aux solutions climatiques, complète le tableau. Cette confiance traduit une reconnaissance claire : la technologie de Spoor répond à un besoin urgent dans la transition énergétique.

Investisseur principalSET Ventures
ParticipantsØrsted Ventures, EnBW New Ventures, Superorganism
Montant8 millions d’euros
ObjectifConsolider la position dans l’éolien et explorer de nouvelles applications

Ces fonds permettront d’accélérer le développement commercial et technique, tout en construisant des preuves d’efficacité dans d’autres secteurs.

Le contexte réglementaire pousse à l’innovation

Les autorités durcissent le ton. En France, un parc éolien a été mis à l’arrêt en avril 2025 pour impact excessif sur les oiseaux, accompagné d’amendes colossales. D’autres pays européens suivent la même trajectoire.

Cette pression réglementaire crée un marché captif pour des solutions comme celle de Spoor. Les opérateurs n’ont plus le choix : ils doivent démontrer concrètement leur respect de la biodiversité pour obtenir ou conserver leurs autorisations.

Dans ce cadre, la technologie norvégienne apparaît comme une réponse idéale : objective, traçable, automatisée. Elle fournit des données fiables que les autorités peuvent auditer, transformant une contrainte en avantage compétitif.

Au-delà des oiseaux : des applications inattendues

Si les oiseaux restent la priorité, d’autres usages émergent. Les drones, par exemple, sont parfois détectés par le système. Bien que filtrés actuellement, ces données suscitent l’intérêt de certains clients.

« Les drones sont bien sûr des oiseaux en plastique pour nous. Ils bougent différemment et ont une forme différente. Nous discardons ces données pour l’instant, mais l’intérêt grandit. »

Ask Helseth

Cette anecdote illustre la polyvalence de la plateforme. Conçue pour identifier des objets volants de taille similaire aux oiseaux, elle pourrait demain surveiller l’espace aérien pour d’autres besoins.

  • Surveillance des chauves-souris pour l’industrie minière
  • Détection potentielle de drones
  • Applications dans l’aviation civile
  • Monitoring environnemental pour l’aquaculture

Ask Helseth reste prudent : pas question de diluer l’effort principal. L’objectif prioritaire demeure de devenir le leader incontesté dans le secteur éolien avant d’explorer largement d’autres marchés.

Une vision ambitieuse pour l’avenir

La mission de Spoor dépasse la simple fourniture d’un outil technique. L’entreprise veut contribuer activement à faire coexister industrie et nature dans la transition énergétique.

« Notre mission est de permettre à l’industrie et à la nature de coexister. Nous avons commencé ce chemin, mais nous restons une petite startup avec beaucoup à prouver. »

Ask Helseth

Les prochaines années seront décisives. Spoor vise à consolider sa position dominante dans l’éolien mondial tout en développant des cas d’usage solides dans d’autres domaines. Une trajectoire qui pourrait en faire un acteur majeur de la greentech.

Dans un monde où l’urgence climatique impose une accélération massive des renouvelables, des innovations comme celle-ci rappellent qu’il est possible de progresser sans sacrifier la biodiversité. Spoor illustre parfaitement cette voie étroite mais prometteuse : celle d’une technologie au service d’un équilibre retrouvé entre progrès humain et préservation du vivant.

Alors que les éoliennes continuent de pousser comme des forêts mécaniques à travers les paysages, des yeux artificiels veillent désormais sur ceux qui partagent le ciel avec elles. Une petite révolution discrète, mais peut-être déterminante pour l’avenir de notre planète.

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Steven Soarez
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