Imaginez un investisseur solitaire qui, parti de rien au Danemark, parvient à repérer des pépites technologiques avant tout le monde et transforme de modestes fonds en machines à succès. C’est l’histoire de Neil Murray, un Britannique devenu figure incontournable de l’écosystème startup nordique. Avec l’annonce récente de son troisième fonds, il confirme que les pays scandinaves ne sont plus une curiosité européenne, mais une véritable puissance en devenir.
Cette levée de fonds de 6 millions de dollars n’est pas anodine. Elle illustre parfaitement la maturité croissante d’une région souvent sous-estimée. Derrière les apparences calmes et méthodiques des Nordiques se cache une ambition technologique hors norme.
Le pari gagnant de Neil Murray sur les Nordiques
Neil Murray n’est pas un venture capitalist comme les autres. Installé à Copenhague depuis 2013, ce solo GP a bâti sa réputation sur une conviction simple : les meilleurs fondateurs ne se trouvent pas toujours là où tout le monde regarde. En se concentrant exclusivement sur les pays nordiques que sont le Danemark, la Suède et la Norvège, il a su anticiper une vague qui dépasse aujourd’hui les attentes.
Son troisième fonds, baptisé Fund III chez The Nordic Web Ventures, cible spécifiquement les premières prises de position institutionnelles dans des startups prometteuses. Avec des chèques moyens de 200 000 dollars, il prévoit d’accompagner entre 30 et 35 entreprises. Un choix délibéré de rester petit dans un monde où la course aux milliards fait rage.
Pourquoi refuser plus de 20 millions d’euros d’intérêt pour se limiter à 6 millions ? Pour Murray, la réponse est claire : l’alignement des intérêts prime sur la taille du fonds. En restant agile, il conserve une flexibilité que les gros acteurs n’ont plus.
Capping the fund wasn’t a constraint. It was the strategy.
Neil Murray
Un parcours atypique devenu modèle
Tout a commencé avec un blog. Arrivé au Danemark sans connaître personne, Neil Murray s’étonne du silence autour des réussites technologiques locales. Spotify, Klarna, Skype… autant de géants nés dans le Nord, pourtant peu mis en lumière. Il lance alors The Nordic Web, une plateforme qui décortique investissements et exits dans la région.
Rapidement, les VC le contactent pour savoir quels fondateurs cherchent du capital. L’étape suivante est naturelle : investir lui-même. En 2017, il lève un premier fonds de seulement 500 000 dollars. Un « test vehicle » comme il les appelle, suivi d’un second. Sept ans plus tard, le bilan parle de lui-même.
Plus de 50 premières prises de position, une licorne avec Lovable, des exits notables comme Uizard, et déjà plus de la moitié du capital des deux premiers fonds retourné aux investisseurs. Des fondateurs de ses premières promotions réinvestissent même dans son nouveau véhicule.
- Première licorne du portefeuille : Lovable
- Exit réussi : Uizard (design UI)
- Autre succès : SafetyWing (assurance nomades digitaux)
- Retour de capital : plus de 50% sur les fonds I et II
Pourquoi les Nordiques attirent autant
L’écosystème nordique n’est plus émergent, il est établi. Valorisé à plus d’un demi-milliard de dollars, il a attiré plus de 8 milliards en investissements rien qu’en 2024. Ces chiffres impressionnants s’expliquent par plusieurs facteurs structurels.
La culture d’ingénierie y est profondément ancrée. Les universités produisent des talents de classe mondiale en informatique et sciences appliquées. Ajoutez à cela une tradition manufacturière solide et une approche méthodique du développement produit : vous obtenez le terreau idéal pour la deep tech.
Neil Murray mise particulièrement sur trois secteurs où les Nordiques excellent :
- La robotique appliquée à l’industrie, la santé et la logistique
- Les entreprises AI-native qui repensent les modèles économiques
- Le consumer tech, historique point fort de la région
Cette combinaison entre excellence technique et pragmatisme entrepreneurial crée des entreprises particulièrement résilientes. Contrairement à certains écosystèmes plus volatils, les startups nordiques construisent pour durer.
The Nordics aren’t experiencing a ‘moment.’ They’re experiencing a compounding.
Neil Murray
Le modèle solo GP : avantage ou risque ?
Dans un monde dominé par les mega-fonds et les plateformes multi-partners, choisir la voie solo peut sembler audacieux. Pourtant, Neil Murray en fait une force. Sans les lourdeurs décisionnelles des comités d’investissement, il peut agir vite quand une opportunité se présente.
Ses LPs ne s’y trompent pas. On y trouve des institutions comme Allocator One, des fondateurs célèbres (Kahoot, Pleo) et même des opérateurs de Meta et Google. Le fait que de nombreux entrepreneurs de ses premiers fonds réinvestissent témoigne d’une confiance rare.
Ce modèle permet aussi une relation plus directe avec les fondateurs. Pas de dilution de responsabilité, pas de politique interne. L’investisseur est pleinement engagé, pour le meilleur et pour le pire.
Les secteurs porteurs du Fund III
Le choix des secteurs n’est pas aléatoire. La robotique notamment bénéficie d’un héritage industriel fort en Suède et au Danemark. Quand on ajoute l’intelligence artificielle, on obtient des applications concrètes qui transforment des industries entières.
Pensez aux robots collaboratifs dans les usines, aux solutions d’automatisation logistique ou aux dispositifs médicaux intelligents. Les Nordiques ont cette capacité unique à passer rapidement du prototype à la production à échelle, grâce à leur écosystème manufacturier.
L’AI-native représente l’autre grand pari. Des entreprises qui naissent avec l’intelligence artificielle au cœur de leur produit, pas comme un add-on. C’est là que se créent les vrais avantages compétitifs durables.
| Secteur | Avantages Nordiques | Exemples d’application |
| Robotique | Héritage industriel fort | Automatisation usine, logistique |
| IA Native | Talents en computer science | Outils SaaS intelligents |
| Consumer Tech | Culture design minimaliste | Apps grand public virales |
| Deep Tech | Recherche universitaire | Solutions B2B complexes |
Une philosophie d’investissement différente
Neil Murray ne cherche pas à maximiser l’ownership à tout prix. Pour lui, soutenir des fondateurs exceptionnels prime sur le pourcentage de parts. Une approche rafraîchissante dans un secteur parfois obsédé par le contrôle.
Cette philosophie se retrouve dans sa gestion de fonds. En refusant de grossir artificiellement, il évite la pression des management fees et reste focalisé sur la performance pure. Un alignement parfait avec ses LPs qui misent sur sa capacité à générer des retours, pas sur des frais récurrents.
C’est aussi une réponse aux critiques récurrentes du modèle venture traditionnel. Quand les fonds deviennent trop gros, ils doivent investir dans des tours plus matures, plus chers, plus risqués en termes de valorisation. En restant petit, Murray garde l’accès aux meilleures opportunités early-stage.
L’avenir des startups nordiques
Ce troisième fonds n’est qu’une étape. Avec une profondeur de talent en constante augmentation et une maturité croissante de l’écosystème, les prochaines années s’annoncent exceptionnelles pour les startups nordiques.
La combinaison unique de culture ingénieur, d’approche méthodique et de qualité de vie attire de plus en plus de talents internationaux. Les success stories se multiplient, créant un cercle vertueux où les entrepreneurs devenus anges investisseurs soutiennent la nouvelle génération.
Neil Murray le dit lui-même : ce n’est pas un moment, c’est une accumulation. Les bases posées ces dernières années portent aujourd’hui leurs fruits, et la décennie à venir pourrait voir naître plusieurs nouveaux géants mondiaux depuis ces latitudes nordiques.
Pour les fondateurs français ou européens qui cherchent de l’inspiration, regarder vers le Nord devient indispensable. La preuve que construire calmement, méthodiquement, avec une vraie vision long terme, peut mener très loin.
L’histoire de Neil Murray et de son fonds nous rappelle une vérité simple : dans le venture, la taille ne fait pas tout. Parfois, rester focalisé, agile et profondément convaincu par une région suffit à créer quelque chose d’exceptionnel.
Les Nordiques ne font pas de bruit. Ils construisent. Et les résultats parlent d’eux-mêmes.