Imaginez travailler sur l’un des projets les plus ambitieux de l’humanité : construire des fusées capables d’emmener l’Homme sur Mars. L’excitation est palpable, les délais serrés, et soudain, une pièce métallique de plus de 500 kilos vous tombe dessus. C’est exactement ce qui est arrivé à un ouvrier à Starbase, la base texane de SpaceX, en novembre 2025. Cet incident soulève une question cruciale : jusqu’où une startup peut-elle pousser ses équipes dans la quête de l’innovation sans compromettre la sécurité ?
Cet accident n’est pas isolé. Il met en lumière les défis auxquels font face les entreprises spatiales en pleine expansion, où la pression pour innover rapidement se heurte parfois à la réalité des chantiers à haut risque.
Starbase : le rêve martien au prix fort ?
Starbase, située à Boca Chica dans le sud du Texas, est bien plus qu’une simple base de lancement. C’est le cœur battant du programme Starship d’Elon Musk, ce méga-vaisseau destiné à révolutionner les voyages spatiaux. Depuis plus d’une décennie, SpaceX y investit massivement pour transformer ce coin reculé en une véritable usine à fusées.
Mais cette ambition démesurée s’accompagne de défis humains considérables. Les ouvriers y travaillent dans des conditions extrêmes, avec des engins colossaux et des délais imposés par un PDG connu pour son exigence.
Les détails choquants de l’accident de novembre
Le 15 novembre 2025, Eduardo Cavazos, un habitant du comté de Cameron, construisait un mur en béton sur le site. Il était employé par un sous-traitant de CCC Group, une entreprise missionnée par SpaceX pour ces travaux.
Alors qu’une grue soulevait une structure de coffrage verticale – ces formes métalliques qui maintiennent le béton frais – un support long en métal s’est détaché. Cette pièce de près de 1 200 livres (environ 540 kilos) a percuté violemment l’ouvrier.
Les conséquences sont graves : fractures de la hanche, du genou et du tibia, sans compter les blessures au cou, à la tête, aux épaules, au dos et aux jambes. Les avocats de la victime parlent de thérapies longues, de médicaments quotidiens et potentiellement d’interventions chirurgicales.
En toute probabilité raisonnable, [Cavazos] a et/ou subira des thérapies physiques, des médicaments quotidiens, des traitements contre la douleur et/ou des interventions chirurgicales pour tenter de contrôler la souffrance causée par ces blessures.
Extrait de la plainte déposée par les avocats d’Eduardo Cavazos
Une version amendée de la plainte révèle un détail troublant : l’opérateur de la grue aurait été vu en train d’utiliser son téléphone portable peu avant l’incident. Il aurait abaissé brutalement la charge, la faisant heurter le sol, puis l’aurait relevée soudainement, provoquant la chute du support.
Eduardo Cavazos poursuit aujourd’hui SpaceX et CCC Group pour négligence, réclamant des dommages et intérêts non précisés.
Une enquête OSHA déjà en cours
L’Occupational Safety and Health Administration (OSHA), l’agence fédérale américaine chargée de la sécurité au travail, s’est immédiatement saisie de l’affaire. SpaceX a signalé l’incident, déclenchant une « enquête de réponse rapide ».
Cette procédure implique une demande d’informations détaillées à l’employeur avant de décider d’une inspection sur site. À ce jour, l’agence attend toujours la réponse complète de SpaceX.
Ce n’est pas la première fois cette année. Fin juin 2025, une grue s’était effondrée à Starbase, un événement capturé en direct par des caméras amateurs. Là encore, OSHA enquête, sans que l’on sache si des blessés étaient à déplorer.
- Accident de novembre : ouvrier écrasé par un support métallique détaché.
- Accident de juin : effondrement total d’une grue sur le site.
- Les deux font l’objet d’enquêtes actives de l’OSHA.
Un historique préoccupant à Starbase
Les incidents graves ne datent pas d’hier. Dès 2014, un employé avait trouvé la mort sur le site naissant. En 2023, une enquête journalistique avait révélé de nombreuses blessures non rapportées publiquement.
Les données officielles parlent d’elles-mêmes. Le taux d’incidents enregistrés (TRIR) à Starbase atteignait environ 4,27 blessures pour 100 travailleurs en 2024. À titre de comparaison :
| Site | TRIR 2024 |
| Starbase (Texas) | 4,27 |
| McGregor (tests moteurs) | 2,48 |
| Hawthorne (Californie) | 1,43 |
| Moyenne secteur aéronautique | 1,6 |
Ces chiffres placent Starbase largement au-dessus des standards de l’industrie. Une ancienne responsable OSHA qualifiait même ce taux de « drapeau rouge » indiquant des problèmes sérieux de sécurité.
SpaceX a même été sanctionnée en 2025 pour ne pas avoir signalé dans les délais une autre blessure grave sur le site.
La pression de l’ambition spatiale
Pourquoi tant d’incidents ? La réponse tient en grande partie à la philosophie d’Elon Musk : avancer vite, itérer rapidement, accepter l’échec comme partie du processus. Cette approche a permis des prouesses techniques incroyables, mais elle exerce une pression énorme sur les équipes terrain.
Starbase est en pleine expansion. Une nouvelle usine géante, baptisée « Gigabay », est en construction pour un coût de 250 millions de dollars. Objectif : produire jusqu’à 1 000 Starship par an d’ici la fin de la décennie.
Cette course contre la montre s’intensifie avec les enjeux géopolitiques. La NASA pousse SpaceX à accélérer le retour sur la Lune, tandis que la Chine vise 2029 pour y poser des astronautes. Elon Musk, lui, voit parfois la Lune comme une « distraction » par rapport à Mars.
Les leçons pour les startups de la New Space
SpaceX n’est pas seule dans cette dynamique. L’ensemble du secteur spatial privé – la « New Space » – connaît une croissance explosive. Blue Origin, Rocket Lab, ou encore des dizaines de startups européennes et asiatiques suivent le même chemin : lever des milliards, promettre la révolution, et construire à marche forcée.
Mais cet accident rappelle une vérité simple : derrière les fusées et les rêves interstellaires, il y a des femmes et des hommes qui risquent leur vie tous les jours.
- Formation renforcée des opérateurs de machines lourdes.
- Contrôles plus stricts des sous-traitants.
- Culture de sécurité prioritaire sur les délais.
- Transparence accrue vis-à-vis des autorités.
Des mesures qui, si elles sont appliquées, pourraient devenir un modèle pour toute l’industrie.
Vers un avenir plus sûr pour la conquête spatiale ?
L’histoire de SpaceX est celle d’une startup devenue géant en défiant les règles établies. Mais à mesure que l’entreprise mûrit, elle doit aussi intégrer les responsabilités qui vont avec sa taille et son influence.
Cet accident de grue pourrait marquer un tournant. Si les enquêtes aboutissent à des changements concrets, Starbase pourrait non seulement produire des fusées pour Mars, mais aussi démontrer qu’innovation rime avec sécurité humaine.
Car au final, coloniser l’espace ne vaut rien si on laisse des victimes sur Terre. L’humanité que nous voulons emmener sur d’autres planètes mérite d’être protégée dès aujourd’hui, sur les chantiers qui rendront ce rêve possible.
(Note : cet article s’appuie sur des informations publiques disponibles au 17 décembre 2025. L’enquête OSHA est toujours en cours.)