Imaginez que vous passiez des années à construire un média, un site d’information ou une chaîne YouTube, et qu’un jour Google décide d’aspirer tout votre contenu pour répondre directement aux internautes… sans vous verser un centime et sans même vous laisser le choix de dire non. C’est exactement ce que l’Union européenne reproche aujourd’hui au géant de Mountain View.
Le 9 décembre 2025, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une enquête antitrust d’ampleur contre les outils d’intelligence artificielle de recherche de Google, notamment AI Overviews et AI Mode. Et cette fois, Bruxelles tape fort.
Pourquoi l’Europe s’attaque (encore) à Google
Ce n’est pas la première fois que Google se retrouve dans le viseur européen. Rappelons-nous les amendes records de plusieurs milliards d’euros pour Android, Google Shopping ou AdSense. Mais cette enquête-là est différente : elle touche au cœur même du nouveau champ de bataille technologique, l’intelligence artificielle générative.
La Commission reproche à Google trois pratiques jugées abusives :
- Utiliser le contenu des sites web (articles, blogs, forums) pour générer des réponses IA sans rémunération ni possibilité de refus sans perdre sa visibilité dans le moteur.
- Exploiter les vidéos YouTube pour entraîner et alimenter ses outils IA tout en interdisant aux concurrents l’accès à ces mêmes données.
- Imposer des conditions contractuelles jugées déloyales aux éditeurs et créateurs.
En clair : Google serait à la fois juge et partie sur le marché de l’IA recherche, grâce à sa position dominante historique.
AI Overviews : la fonctionnalité qui fait trembler les éditeurs
Lancé en mai 2024 aux États-Unis puis étendu progressivement, AI Overviews affiche désormais un résumé généré par IA en haut de très nombreuses recherches Google. Pratique pour l’internaute ? Absolument. Catastrophique pour les sites qui vivent du trafic ? Souvent.
Des études récentes montrent que la présence d’un AI Overview peut faire chuter le trafic organique de 20 à 60 % selon les secteurs. Pire : l’internaute obtient la réponse sans cliquer. Résultat ? Les éditeurs perdent à la fois visibilité et revenus publicitaires.
« La Commission va examiner dans quelle mesure la génération d’AI Overviews et d’AI Mode repose sur le contenu des éditeurs web sans compensation adéquate »
Communiqué officiel de la Commission européenne, 9 décembre 2025
YouTube : le trésor de données que Google garde jalousement
Deuxième front de l’enquête : YouTube. Avec ses milliards d’heures de vidéos sous-titrées, la plateforme représente une mine d’or pour entraîner des modèles multimodaux (texte + vidéo + audio).
Problème : les conditions d’utilisation de YouTube interdisent explicitement l’extraction massive de données à des fins d’entraînement IA… sauf pour Google lui-même. Un avantage compétitif colossal que Bruxelles considère comme un abus de position dominante.
Des startups européennes comme Mistral AI, Aleph Alpha ou LightOn se plaignent depuis des mois de ne pas pouvoir accéder à des données vidéo de qualité équivalente. Pendant ce temps, Gemini (l’IA de Google) progresse à vitesse grand V.
Ce que risque vraiment Google
Les précédents sont lourds. En 2018, Google a écopé de 4,34 milliards d’euros d’amende pour Android. En 2019, 1,49 milliard pour AdSense. Cette fois, l’amende pourrait atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial, soit potentiellement plus de 30 milliards de dollars.
Mais l’argent n’est pas le vrai sujet. Ce que craint le plus Google, ce sont les remèdes structurels : obligation de partager les données YouTube, interdiction d’utiliser le contenu web sans accord explicite, ou même séparation forcée de certaines activités IA.
- Obligation de proposer un opt-out réel (sans pénalité SEO)
- Licences obligatoires pour les données YouTube
- Interopérabilité forcée avec les IA concurrentes
- Transparence sur les sources utilisées dans les réponses IA
Et les startups dans tout ça ?
C’est là que l’enquête devient passionnante pour l’écosystème européen. Des jeunes pousses comme Exa AI (France), You.com ou And Perplexity luttent pour exister face à la machine Google. L’enquête pourrait enfin rééquilibrer les règles du jeu.
Plusieurs fondateurs français que j’ai pu contacter ces derniers jours se disent « très optimistes ». L’un d’eux m’a confié hors micro : « Si Bruxelles impose le partage des données vidéo, c’est game changer pour toute l’Europe ».
Car pendant que les États-Unis laissent les GAFAM siphonner le web sans trop de contraintes (malgré quelques procès), l’Europe choisit une autre voie : protéger ses champions technologiques naissants.
Les arguments de Google (et pourquoi ils ne convainquent plus)
De son côté, Google crie à l’anti-innovation. Un porte-parole a déclaré : « Cette plainte risque d’étouffer l’innovation dans un marché plus compétitif que jamais ».
Argument classique. Mais il commence à user. Car pendant que Google parle d’innovation, des médias ferment, des créateurs perdent leurs revenus, et des startups européennes peinent à lever des fonds face à l’écrasante domination américaine.
Vers une régulation mondiale de l’IA recherche ?
Ce qui se joue dépasse largement Google. C’est toute l’architecture future de l’IA recherche qui est en train de se dessiner.
Plusieurs scénarios possibles :
| Scénario | Conséquences |
| Google gagne | Modèle actuel renforcé : IA aspirant tout le web gratuitement |
| Compromis (licences obligatoires) | Éditeurs rémunérés, concurrents accès partiel aux données |
| Victoire européenne totale | Partage forcé des données, révolution pour les startups IA |
Quoi qu’il arrive, cette enquête marque un tournant. L’Europe ne se contente plus de réguler après coup : elle veut façonner les règles de l’IA dès maintenant.
Et vous, entrepreneurs, créateurs, éditeurs : cette enquête vous donne-t-elle de l’espoir ? Ou craignez-vous que Google ne s’en sorte encore une fois ?
Une chose est sûre : les prochains mois vont être décisifs pour l’avenir de l’intelligence artificielle européenne. Et peut-être, qui sait, pour la naissance d’un véritable champion continental capable de rivaliser avec les géants américains.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 avec les dernières réactions du secteur)