Imaginez une partie de Monopoly où un joueur prête de l’argent à un autre pour acheter ses propres hôtels, puis récupère une partie des loyers grâce à cette dette. Drôle, non ? C’est pourtant exactement le type de mécanisme que l’on observe de plus en plus dans l’écosystème de l’intelligence artificielle en 2025.

Le dernier exemple en date ? L’investissement annoncé début décembre par OpenAI dans Thrive Holdings, une structure qui ressemble furieusement à un fonds de private equity spécialisé dans l’IA… et dont la maison-mère, Thrive Capital, figure parmi les investisseurs historiques d’OpenAI. Bienvenue dans l’ère des circular deals.

OpenAI devient actionnaire de Thrive Holdings : les dessous d’un deal très particulier

Officiellement, l’opération reste discrète. Aucun montant communiqué, aucune valorisation précise. Mais les contours sont clairs : OpenAI prend une participation dans Thrive Holdings, un véhicule d’investissement qui rachète des entreprises traditionnelles (comptabilité, services informatiques, etc.) pour les transformer grâce à l’IA.

Le plus intéressant n’est pas l’investissement financier en lui-même. C’est ce qu’OpenAI apporte réellement : des ingénieurs, des chercheurs et des équipes produit qui iront travailler directement dans les entreprises du portefeuille de Thrive Holdings.

En échange ? Si ces sociétés décollent grâce aux outils développés sur place, la part d’OpenAI grandira automatiquement et l’entreprise sera rémunérée pour ses services. Un schéma gagnant-gagnant… tant que tout le monde reste dans le même bateau.

Un schéma qui rappelle étrangement CoreWeave

Ce n’est pas la première fois qu’OpenAI joue à ce petit jeu.

Il y a quelques mois, la firme de Sam Altman injectait 350 millions de dollars en actions dans CoreWeave, spécialiste des infrastructures GPU. Que fait CoreWeave avec cet argent ? Acheter des puces Nvidia. Et qui est le principal client de ces puces ? OpenAI lui-même.

Conséquence logique : plus OpenAI consomme de compute, plus CoreWeave génère de revenus, plus la participation d’OpenAI prend de la valeur. Un cercle vertueux… ou une boucle fermée, selon le point de vue.

« On répond à un besoin réel du marché »

Un porte-parole de Thrive Holdings

C’est l’argument officiel. Et il n’est pas totalement faux. Certaines entreprises du portefeuille, comme le cabinet comptable Crete ou la société de services IT Shield, utilisaient déjà des outils IA avant même l’annonce du partenariat.

Quand la frontière entre client et fournisseur disparaît

Mais c’est précisément là que le bât blesse pour de nombreux observateurs.

Lorsque les ingénieurs d’OpenAI construisent eux-mêmes les produits qui vont faire décoller les entreprises dans lesquelles ils sont actionnaires, comment distinguer ce qui relève :

  • D’une véritable traction marché
  • D’un avantage compétitif artificiel créé par la présence même d’OpenAI
  • D’une adoption forcée grâce à la dépendance technique

La question n’est pas seulement théorique. Elle touche au cœur de la valorisation des entreprises IA en 2025.

Quand une startup annonce « nous utilisons l’IA d’OpenAI » et que derrière, ce sont des équipes d’OpenAI qui ont tout codé, est-ce encore une startup indépendante ? Ou simplement une filiale déguisée ?

Thrive Holdings : le private equity version IA

Pour comprendre l’enjeu, il faut regarder de plus près ce que fait réellement Thrive Holdings.

Le modèle est simple sur le papier :

  • Racheter des entreprises rentables mais à croissance limitée (cabinet comptable, société de maintenance IT, etc.)
  • Y injecter massivement de l’IA pour réduire les coûts et augmenter les marges
  • Revendre ou faire croître ces sociétés à des multiples bien supérieurs

Jusque là, c’est du private equity classique. Sauf qu’ici, le principal fournisseur technologique est aussi actionnaire. Et pas n’importe lequel : celui qui possède la meilleure IA du marché.

Avantage compétitif ? Énorme. Concurrence loyale ? La question se pose.

Les précédents historiques ne manquent pas

Ces mécanismes de boucle ne sont pas nouveaux. On les a vus dans :

  • Les LBO des années 80 (rachat avec effet de levier massif)
  • Les SPAC de 2020-2021 (valorisations folles sans revenus)
  • Les roll-up financés par SoftBank dans le logiciel (Toast, DoorDash, etc.)

À chaque fois, le schéma est le même : créer de la valeur par la structure financière plus que par le produit. Et à chaque fois, la correction est brutale quand le flux d’argent neuf se tarit.

2025 : l’année où tout le monde copie le modèle

Ce qui change aujourd’hui, c’est la vitesse et l’échelle.

En quelques mois seulement, on a vu :

  • Anthropic discuter avec des fonds pour des structures similaires
  • Google Cloud proposer des crédits en échange d’équity
  • Microsoft investir dans des startups… qui utilisent exclusivement Azure

Le modèle « je te finance si tu consommes mon produit » n’est plus l’exception. Il devient la norme.

Et les investisseurs dans tout ça ?

Pour les fonds traditionnels, c’est la douche froide.

Comment concurrencer une entreprise qui peut à la fois :

  • Proposer la meilleure technologie
  • Financer ses clients
  • Prendre une participation dans leur succès
  • Et récupérer la marge sur l’usage

La réponse est simple : on ne concurrence pas. On essaie de rentrer dans la boucle.

D’où l’explosion des co-investissements avec les géants de l’IA. Thrive Capital, General Catalyst, Coatue… tous veulent leur part du gâteau, même si cela signifie accepter des règles du jeu écrites par OpenAI et consorts.

Vers une concentration extrême du pouvoir ?

À long terme, ce modèle pose une question fondamentale : qui contrôlera vraiment l’économie de l’IA ?

Si les entreprises les plus rentables de demain sont celles qui ont été « optimisées » par les équipes d’OpenAI, avec des systèmes propriétaires impossibles à répliquer, alors nous assistons peut-être à la naissance d’un nouveau type de conglomérat.

Un conglomérat décentralisé, composé de centaines de sociétés apparemment indépendantes, mais toutes dépendantes de la même infrastructure technique et actionnariale.

Un peu comme si General Electric avait possédé à la fois les usines, les banques qui les finançaient, et les ingénieurs qui concevaient les machines. Sauf qu’ici, c’est encore plus insidieux car tout se passe dans le logiciel.

Conclusion : la fin de l’illusion d’indépendance

L’investissement d’OpenAI dans Thrive Holdings n’est pas qu’une opération financière parmi d’autres.

C’est le révélateur d’une transformation profonde : dans l’IA, l’indépendance devient un luxe que peu pourront se permettre.

Les startups de demain auront le choix entre :

  • Rester petites et indépendantes (et marginales)
  • Ou grandir très vite… en acceptant de rentrer dans l’orbite des géants

Le deal OpenAI-Thrive Holdings ne fait que rendre visible ce qui était déjà en train de se produire en coulisses.

Et pendant ce temps, les valorisations continuent de grimper. Tant que l’argent coule à flot et que la boucle reste fermée, tout va bien.

Mais quand viendra le moment où il faudra prouver que ces entreprises peuvent survivre sans la présence permanente de leurs bienfaiteurs ?

Là, l’histoire sera peut-être différente.

À suivre. Très attentivement.

avatar d’auteur/autrice
Steven Soarez
Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.