Et si demain, votre plus gros investisseur n’était ni un fonds de la Sand Hill Road, ni un corporate chinois, mais… le Département du Commerce des États-Unis ? C’est la réalité qui attend xLight, une startup de quatre ans à peine, qui vient de signer un deal hors norme : jusqu’à 150 millions de dollars en échange d’une participation qui fera probablement de l’État fédéral son premier actionnaire.
xLight : la startup qui veut détrôner ASML avec des lasers de stade
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut d’abord saisir l’ambition presque insensée de cette jeune pousse de Palo Alto. xLight ne veut pas simplement améliorer la lithographie EUV actuelle. Elle veut la remplacer par une technologie totalement différente : des lasers alimentés par des accélérateurs de particules, des machines longues comme un terrain de football américain, capables de graver des transistors à 2 nm et au-delà avec une efficacité énergétique bien supérieure.
En face, il y a ASML. Une seule entreprise néerlandaise détient aujourd’hui le monopole mondial des machines EUV haute-NA. Ses équipements coûtent plus cher qu’un porte-avions et aucune fonderie (TSMC, Intel, Samsung) ne peut s’en passer. Si xLight réussit, c’est tout l’équilibre géopolitique de la chaîne d’approvisionnement des puces qui bascule.
Un duo de choc aux commandes
À la tête de l’aventure, on trouve Nicholas Kelez, un vétéran des laboratoires nationaux et de la physique quantique, et surtout Pat Gelsinger comme président exécutif. Oui, le même Pat Gelsinger qui dirigeait Intel jusqu’en décembre 2024 et qui s’était juré de ramener la fabrication de pointe aux États-Unis. Viré pour résultats insuffisants, il revient par la petite porte… avec une revanche personnelle évidente.
« Je n’avais pas fini. »
Pat Gelsinger, au Wall Street Journal
Cette phrase résume tout. L’ancien patron d’Intel, aujourd’hui général partner chez Playground Global (qui a mené la levée de 40 millions de dollars cet été), voit en xLight la suite logique de sa croisade pour l’indépendance américaine en semi-conducteurs.
Le retour en force de la politique industrielle à l’américaine
Le deal xLight n’est pas isolé. C’est la troisième fois sous l’administration Trump que le gouvernement prend une participation directe dans une startup privée. Avant elle, deux sociétés de terres rares et plusieurs projets stratégiques ont déjà vu l’Oncle Sam entrer au capital.
- Intel : subventions massives + garanties
- MP Materials et Lithium Americas : prises de participation
- Deux startups de terres rares : equity direct en novembre 2025
- xLight : jusqu’à 150 M$ pour une part majoritaire potentielle
Le message est clair : quand la sécurité nationale est en jeu, Washington est prêt à redevenir investisseur en capital-risque. Howard Lutnick, le nouveau Secrétaire au Commerce, ne s’en cache pas : l’objectif est de « réécrire les limites de la fabrication de puces ».
Silicon Valley applaudit… du bout des lèvres
Dans la Valley, la nouvelle fait grincer des dents. L’idée qu’un fonctionnaire du Commerce siège au board d’une startup aux côtés d’investisseurs privés reste difficile à avaler pour beaucoup.
« Les mots les plus dangereux du monde : “Je viens du gouvernement et je suis là pour vous aider.” »
Roelof Botha, Sequoia Capital (Disrupt 2025)
Pourtant, même les plus libéraux des VC reconnaissent la réalité géopolitique. La Chine, la Corée, Taïwan : tous les concurrents pratiquent une politique industrielle agressive depuis des décennies. Les États-Unis n’ont plus le choix s’ils veulent rester dans la course sous les 2 nm.
Que change concrètement l’entrée de l’État au capital ?
Au-delà du symbole, l’impact est multiple :
- Accélération massive : 150 millions, c’est plusieurs tours de table classiques pour une deep tech
- Accès privilégié aux laboratoires nationaux et aux meilleurs talents
- Contrôle stratégique : l’État pourra imposer des clauses de sécurité, limiter les exportations, voire bloquer une vente à un acteur étranger
- Signal fort pour les clients : TSMC, Intel ou Samsung sauront que xLight est « too strategic to fail »
Mais il y a aussi des contreparties. La bureaucratie fédérale, les audits, les restrictions CFIUS renforcées… Sans parler du risque réputationnel si la technologie ne tient pas ses promesses.
La technologie : pourquoi c’est (peut-être) révolutionnaire
Les machines EUV actuelles d’ASML utilisent des gouttelettes d’étain bombardées par laser CO2 pour générer de la lumière à 13,5 nm. xLight change complètement de paradigme : un accélérateur de particules produit un plasma qui émet à des longueurs d’onde bien plus courtes, potentiellement jusqu’à 2 nm et moins.
Les promesses chiffrées sont vertigineuses :
| Critère | ASML High-NA | xLight (cible) |
| Efficacité wafer | Base 100 | +30 à 40 % |
| Consommation énergie | Très élevée | Significativement réduite |
| Taille machine | Énorme | Encore plus énorme (terrain de foot) |
| Longueur d’onde | 13,5 nm | Vers 2 nm et moins |
Si seulement 50 % de ces promesses sont tenues, l’impact serait colossal. Intel pourrait rattraper son retard, les États-Unis pourraient imposer des standards, et ASML… trembler sérieusement.
Et après ? Les scénarios possibles pour xLight
Scénario 1 : la success story à la SpaceX. La technologie fonctionne, les premières machines sortent en 2030, l’État revend sa participation avec une plus-value énorme et xLight devient le nouveau champion national.
Scénario 2 : l’échec technique. Les accélérateurs restent trop complexes, trop chers, trop gourmands en énergie. L’État absorbe les pertes, la startup disparaît ou se fait racheter pour une bouchée de pain.
Scénario 3 : le compromis à la GlobalFoundries. Une technologie qui marche… à moitié. Suffisante pour quelques nœuds avancés, mais pas assez pour détrôner ASML. L’État garde sa participation éternellement, xLight devient une sorte de champion national subventionné.
Ce que cela dit de l’avenir du capital-risque deep tech
xLight n’est que la partie visible de l’iceberg. Fusion, quantique, défense, espace… Partout où la sécurité nationale croise la technologie de rupture, l’État américain est en train de redevenir un acteur direct.
Pour les entrepreneurs, c’est une opportunité unique : des chèques énormes, une crédibilité instantanée, un accès aux infrastructures nationales. Mais c’est aussi une perte d’indépendance radicale.
Pour les VC traditionnels, c’est un signal d’alarme. Quand l’État est prêt à mettre 150 millions dans une Série B deep tech, comment concurrencer ? La réponse viendra peut-être des fonds spécialisés « national security tech » qui se multiplient : Andrena Ventures, Lux Capital avec son fonds défense, etc.
Une chose est sûre : le vieux mantra « le gouvernement ne sait pas picker les gagnants » est en train de vaciller. Quand les gagnants sont aussi les garants de la suprématie technologique d’une nation, les règles du jeu changent.
xLight n’est pas qu’une startup de plus. C’est le premier test grandeur nature du capitalisme d’État version 2.0 à l’américaine. Et le monde entier regarde.