Imaginez-vous enfin prêt à signer pour la maison de vos rêves, celle avec la piscine à débordement et la vue sur l’océan. Et là, juste avant de parapher, une petite pastille rouge indique « risque extrême incendie » et « 12 % de probabilité d’inondation d’ici 2030 ». Vous signez encore ? Beaucoup de gens hésiteraient. C’est exactement ce qui a poussé des milliers d’agents immobiliers américains à faire pression… jusqu’à obtenir gain de cause.

Le 1er décembre 2025, Zillow a discrètement retiré les scores de risque climatique de plus d’un million d’annonces. Un revirement spectaculaire à peine quinze mois après avoir fièrement lancé cette fonctionnalité. Derrière ce recul : les plaintes répétées d’agents qui voyaient leurs ventes s’effondrer à cause d’une information… trop honnête.

First Street, la startup qui a osé dire la vérité sur votre future maison

Pour comprendre l’ampleur du séisme, il faut d’abord parler de First Street. Cette jeune pousse new-yorkaise, fondée en 2016, s’est donné une mission aussi simple qu’explosive : attribuer à chaque adresse américaine un score de risque climatique précis et compréhensible par tous.

Inondations, incendies, ouragans, chaleur extrême, tempêtes… Leurs algorithmes croisent des décennies de données météo, des modèles scientifiques validés par des pairs et même l’historique des sinistres assurantiels. Résultat : une note de 1 à 10 accompagnée de probabilités chiffrées sur 15 et 30 ans.

Quand Zillow a intégré ces scores en septembre 2024, la plateforme clamait haut et fort que plus de 80 % des acheteurs prenaient en compte le risque climatique. Un argument marketing parfait… jusqu’à ce que les commissions commencent à fondre.

« Quand les acheteurs n’ont plus accès à une information claire sur les risques climatiques, ils prennent la plus grosse décision financière de leur vie les yeux bandés. »

Matthew Eby, porte-parole de First Street

Pourquoi les agents immobiliers ont-ils paniqué ?

Un exemple concret vaut mieux que mille discours. Prenons une maison à Pacific Palisades, Los Angeles. Valeur : 4,2 millions de dollars. Vue imprenable. Mais le score First Street affichait « risque extrême incendie » et 8 % de probabilité que la propriété brûle d’ici 2050.

Résultat ? L’acheteur potentiel annulait la visite. L’agent perdait trois mois de travail. Multipliez cela par des milliers de transactions en Californie, en Floride ou au Texas… et vous obtenez une profession entière qui monte au créneau.

Art Carter, patron du California Regional Multiple Listing Service (CRMLS), n’y est pas allé par quatre chemins : « Afficher la probabilité qu’une maison spécifique soit inondée cette année ou dans cinq ans peut avoir un impact considérable sur sa désirabilité perçue. » Traduction : ça tue la vente.

Les données First Street sont-elles vraiment fiables ?

C’est l’argument massue des opposants : les modèles seraient trop alarmistes. Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes.

  • Pendant les incendies de Los Angeles en 2024, les cartes First Street avaient identifié plus de 90 % des maisons détruites comme étant à risque sévère ou extrême.
  • 100 % des propriétés brûlées étaient classées avec au moins un risque quelconque.
  • Leur performance a surpassé les cartes officielles de CalFire, l’agence californienne de lutte contre les incendies.

Sur les inondations, c’est encore plus parlant. Une étude de la Louisiana State University montre que près de deux fois plus de propriétés présentent un risque annuel d’inondation de 1 % (le fameux « siècle flood ») que ce qui figure sur les cartes officielles FEMA – celles qui déterminent pourtant l’obligation d’assurance inondation.

Qui affiche encore les scores climatiques ?

Zillow n’est plus seul à avoir cédé. Mais la situation reste contrastée :

PlateformeScores First Street visibles ?
Realtor.comOui (depuis 2020)
RedfinOui, en bonne place
Homes.comOui
ZillowNon (depuis déc. 2025)

Redfin, en particulier, continue d’afficher fièrement ces données et publie même des rapports annuels sur les villes les plus exposées. Leur message est clair : la transparence fait partie de leur ADN.

First Street : portrait d’une startup qui dérange

Derrière cette polémique se cache une pépite de la climate tech. First Street a levé plus de 50 millions de dollars auprès d’investisseurs prestigieux :

  • General Catalyst
  • Congruent Ventures
  • Galvanize Climate Solutions
  • Et même des assureurs géants qui utilisent leurs données en interne

Leur modèle économique ? Vendre ces scores ultra-précis aux banques, aux assureurs, aux villes et… aux plateformes immobilières. Perdre Zillow, qui représente environ 40 % des visites immobilières aux États-Unis, constitue un coup dur. Mais pas forcément fatal.

« Nos modèles sont construits sur une science transparente et revue par les pairs, continuellement validés par les résultats réels. »

Matthew Eby, First Street

Ce que cela dit de notre rapport au risque climatique

Le plus troublant dans cette histoire ? Personne ne conteste que le risque existe. Ni les agents, ni les vendeurs. On conteste simplement le droit des acheteurs à le connaître avant de signer.

Car une fois la vente conclue, le problème ne disparaît pas. Il change simplement de mains. L’acheteur découvrira le risque… quand sa prime d’assurance explosera, ou pire, quand les pompiers ne pourront plus accéder à son quartier classé « trop dangereux ».

En Flor experiencing déjà : certaines compagnies refusent purement et simplement d’assurer des maisons dans les zones à haut risque incendie ou inondation. Et quand elles acceptent, les primes peuvent doubler en un an.

Vers une obligation légale de transparence ?

Certains États commencent à bouger. La Californie a adopté en 2024 une loi obligeant les vendeurs à divulguer l’exposition aux incendies. New York et le New Jersey travaillent sur des textes similaires pour les inondations.

Mais tant que la divulgation reste facultative au niveau fédéral, les plateformes immobilières resteront tiraillées entre deux feux : satisfaire les agents (qui rapportent les annonces) et informer les consommateurs (qui génèrent le trafic).

First Street, de son côté, ne compte pas baisser les bras. La startup développe actuellement des API encore plus précises et envisage de lancer une application grand public. Objectif : contourner les plateformes immobilières pour parler directement aux futurs propriétaires.

Ce que vous pouvez faire dès aujourd’hui

Vous cherchez une maison ? Ne vous fiez plus uniquement à Zillow. Voici les réflexes à adopter :

  • Allez directement sur le site de First Street et tapez l’adresse qui vous intéresse (c’est gratuit pour les particuliers)
  • Consultez les scores sur Redfin ou Realtor.com qui les affichent encore
  • Demandez le « Natural Hazard Disclosure Report » (obligatoire dans certains États)
  • Interrogez votre assureur sur le coût réel de l’assurance habitation et inondation

Car oui, la pastille rouge a disparu de Zillow. Mais les incendies, les inondations et les ouragans, eux, n’ont pas pris de retraite.

La question reste entière : a-t-on le droit de cacher une information qui peut ruiner financièrement une famille pendant des décennies, simplement parce qu’elle fait baisser le prix de vente ?

En attendant une réponse collective, des startups comme First Street continuent de jouer les lanceurs d’alerte. Et tant qu’il y aura des plateformes prêtes à les afficher, l’espoir d’un immobilier plus transparent reste permis.

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Steven Soarez
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