Imaginez : vous êtes l’un des influenceurs tech les plus respectés au monde, suivi par plus de vingt millions de personnes. À chaque review, vos abonnés vous demandent d’où viennent vos fonds d’écran magnifiques. Vous décidez alors de créer une application dédiée, avec des artistes triés sur le volet et des images exclusives. Le lancement explose les charts. Et quinze mois plus tard… vous annoncez la fermeture définitive.
C’est exactement ce qui est arrivé à Marques Brownlee, plus connu sous le pseudonyme MKBHD, avec son application Panels. Une histoire fascinante qui illustre à merveille les pièges dans lesquels même les créateurs les plus puissants peuvent tomber quand ils se lancent dans l’entrepreneuriat.
Panels : quand un influenceur devient entrepreneur
Septembre 2024. MKBHD dévoile Panels au monde. L’idée est simple mais séduisante : proposer des fonds d’écran de très haute qualité, créés par des artistes reconnus, accessibles via un abonnement premium. Prix ? 50 dollars par an ou 12 dollars par mois. Une partie des revenus reversée aux créateurs.
Le démarrage est fulgurant. Grâce à la notoriété colossale de Marques, l’application se hisse directement en tête des classements App Store et Google Play dans la catégorie Photo & Vidéo. Tout le monde en parle. Les médias tech relayent l’information. On imagine déjà la prochaine licorne née d’un YouTubeur.
Puis la réalité rattrape le rêve.
Les chiffres qui font mal
Derrière les apparences, les données d’Appfigures sont impitoyables :
- 900 000 téléchargements toutes plateformes confondues
- 95 000 dollars de revenus générés en tout et pour tout
- Novembre 2025 : seulement 3 000 téléchargements et 500 dollars de chiffre d’affaires
- Plus de 2 millions de wallpapers téléchargés par les utilisateurs
Traduction : les gens ont adoré découvrir l’application grâce à MKBHD… mais quasiment personne n’a voulu payer sur la durée.
« Nous savions que c’était niche, mais nous avons fait des erreurs sur notre première application, et finalement, nous n’avons pas réussi à réaliser la vision que j’avais. »
Marques Brownlee, vidéo YouTube non répertoriée – décembre 2025
Le problème fondamental : faire payer l’impayable
Pourquoi Panels a-t-elle échoué alors que tout semblait réuni pour réussir ? La réponse tient en une phrase : les gens ne veulent pas payer pour des fonds d’écran.
Depuis quinze ans, Internet nous a habitués à trouver des images magnifiques gratuitement. Pinterest, Unsplash, Wallhaven, Reddit… il suffit de quelques clics. Même les fonds d’écran officiels des nouveaux smartphones sont souvent partagés en 8K sur les forums le jour de leur sortie.
Dans ce contexte, convaincre quelqu’un de débourser 50 dollars par an pour des images – aussi belles soient-elles – relève de la mission impossible. Même quand c’est MKBHD qui le demande.
Les erreurs stratégiques qu’on aurait pu éviter
Avec le recul, plusieurs choix apparaissent discutables :
- Prix trop élevé dès le départ – 50 $/an sans version freemium réelle
- Manque de différenciation forte – les wallpapers, même superbes, restaient des images statiques
- Pas de fonctionnalité sociale – impossible de partager facilement ses coups de cœur
- Dépendance totale à la personne de MKBHD – sans lui, l’application n’avait pas d’identité propre
- Équipe de développement instable – Marques a lui-même reconnu que « la composition de l’équipe avait changé »
Le modèle économique reposait sur une hypothèse fragile : que la communauté MKBHD serait prête à payer pour soutenir son créateur favori. En réalité, cette communauté préfère largement regarder des vidéos gratuites sur YouTube ou soutenir via Patreon.
Ce que Panels nous apprend sur les startups d’influenceurs
L’échec de Panels n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une longue liste de produits lancés par des créateurs célèbres qui n’ont pas trouvé leur public payant :
- L’application de méditation de MrBeast (abandonnée)
- Les multiples marques de vêtements qui ferment boutique
- Les NFT de YouTubeurs qui valent aujourd’hui zéro
- Les applications de fitness de stars Instagram qui disparaissent
La leçon est cruelle mais claire : la notoriété ne remplace pas un vrai problème marché. Avoir des millions de followers ne suffit pas si le produit ne résout pas une douleur réelle ou ne crée pas une dépendance suffisante.
MKBHD lui-même l’a parfaitement résumé dans son blog post d’adieu : « J’ai appris énormément de choses sur la création d’applications, sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »
Et maintenant ? La fin propre et élégante
Contrairement à beaucoup de startups qui meurent dans l’indifférence, Panels s’éteint avec classe :
- Remboursement automatique des abonnements annuels
- Procédure accélérée pour se faire rembourser immédiatement
- Suppression complète des données utilisateurs
- Open-source du code de l’application
C’est une sortie par la grande porte, digne de la réputation de Marques Brownlee.
Les leçons pour tous les entrepreneurs
Derrière cet échec apparent, il y a des enseignements précieux :
- Validez votre idée avec un MVP gratuit avant de demander 50 $/an
- Un beau produit ne suffit pas s’il n’y a pas de besoin profond
- La fidélité d’une audience sur YouTube ne se convertit pas automatiquement en clients payants
- Une équipe stable est plus importante que l’idée initiale
- Il vaut mieux tuer un projet qui ne marche pas plutôt que s’entêter
Marques Brownlee, avec son humilité habituelle, a choisi cette dernière option. Et c’est probablement ce qui le rend si respecté dans la communauté tech.
Panels ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Mais l’histoire de cette application ratée restera comme un cas d’école passionnant sur les limites du pouvoir des influenceurs dans l’entrepreneuriat. Et quelque part, c’est aussi une belle preuve que même les plus grands peuvent se tromper – et l’assumer avec classe.
Parce qu’au final, l’échec le plus intéressant n’est pas celui qu’on cache… c’est celui dont on tire des leçons publiques.