Imaginez lancer la fonctionnalité la plus attendue de votre nouvelle application d’intelligence artificielle… et vous faire arrêter net par une injonction judiciaire à cause d’un simple mot. C’est exactement ce qui vient d’arriver à OpenAI avec sa plateforme Sora. Le mot incriminé ? « Cameo ». Oui, le même que l’application bien connue où l’on commande des vidéos personnalisées de célébrités. Ce qui paraissait être un détail anodin se transforme aujourd’hui en véritable casse-tête juridique pour le leader mondial de l’IA générative.

Quand un mot vaut des millions : l’affaire Cameo contre OpenAI

Le 21 novembre 2025, la juge fédérale Eumi K. Lee a rendu une décision qui a fait l’effet d’une bombe dans la Silicon Valley : elle a accordé une ordonnance restrictive temporaire à la startup Cameo, interdisant à OpenAI d’utiliser le terme « cameo » (et toute variante proche) pour désigner une fonctionnalité de son application Sora. Retour sur une bataille juridique qui illustre parfaitement les nouveaux rapports de force dans la tech.

Cameo, la petite startup qui dit non au géant

Fondée en 2017 à Chicago, Cameo s’est rapidement imposée comme la plateforme de référence pour commander des messages vidéo personnalisés de célébrités, sportifs ou influenceurs. De Snoop Dogg à Caitlyn Jenner, des milliers de personnalités y proposent leurs services. La société a levé plus de 165 millions de dollars et revendique des centaines de millions de vidéos vendues.

Mais son arme la plus puissante n’est ni son catalogue ni sa valorisation : c’est son trademark sur le mot « cameo » lui-même, déposé dès 2018 pour les services de vidéos personnalisées. Un mot pourtant ancien dans le langage courant (un « cameo » désigne une brève apparition au cinéma), mais que la startup a réussi à protéger dans un contexte très précis.

« Nous sommes reconnaissants envers la cour qui a reconnu la nécessité de protéger les consommateurs de la confusion créée par OpenAI en utilisant la marque Cameo »

Steven Galanis, CEO de Cameo

Sora et sa fonctionnalité qui fait polémique depuis le début

Lancée en grande pompe, Sora est l’application sociale d’OpenAI permettant de générer des vidéos ultra-réalistes à partir de texte. Parmi ses fonctionnalités phares : la possibilité de créer des deepfakes de soi-même ou d’autrui (avec autorisation). OpenAI avait choisi de nommer cette option… « Cameo ».

Le problème ? Dès le lancement, la fonctionnalité a été critiquée pour ses dérives possibles. L’affaire Martin Luther King Jr. – où des vidéos deepfake du leader des droits civiques ont circulé – avait déjà mis le feu aux poudres. Mais personne n’imaginait que le vrai danger viendrait… d’une question de marque déposée.

  • Lancement de Sora avec la fonction « Cameo »
  • Polémiques éthiques sur les deepfakes de personnalités décédées
  • Intervention de l’estate de Martin Luther King Jr.
  • Puis, surprise : plainte de la startup Cameo pour violation de trademark

Les arguments des deux camps

La bataille juridique repose sur un principe simple : la confusion des consommateurs. Cameo affirme que l’utilisation du mot par OpenAI crée un risque que les utilisateurs croient à un partenariat ou à une affiliation entre les deux sociétés.

De son côté, OpenAI crie à l’abus : comment une entreprise peut-elle s’approprier un mot du langage courant utilisé depuis des décennies dans l’industrie du cinéma ? L’argument du « generic term » (terme générique) est souvent invoqué dans ce genre d’affaires.

ArgumentCameoOpenAI
Propriété du motTrademark déposé depuis 2018Mot générique du langage courant
Risk de confusionÉlevé (même secteur vidéo)Faible (contextes très différents)
Dommage subiPerte de distinctivité de marqueAucun impact commercial direct

Une ordonnance temporaire… mais lourde de conséquences

L’ordonnance rendue le 21 novembre 2025 est temporaire : elle expire le 22 décembre 2025. Une audience décisive est prévue le 19 décembre. D’ici là, OpenAI a l’interdiction formelle d’utiliser le mot « cameo » ou toute variante proche dans son application.

En pratique, cela signifie que des millions d’utilisateurs de Sora voient encore la fonctionnalité nommée « Cameo »… mais pour combien de temps ? OpenAI va devoir choisir : se battre jusqu’au bout (avec le risque d’une interdiction définitive) ou capituler et renommer la fonctionnalité.

Les précédents qui font trembler la Silicon Valley

Cette affaire n’est pas isolée. Ces dernières années, plusieurs startups ont réussi à tenir tête à des géants grâce à leurs marques déposées :

  • Edge Games contre Electronic Arts (pour le mot « Edge »)
  • Wordle contre des dizaines d’applications clones
  • Meta qui a dû payer pour conserver « Meta » dans certains pays
  • Et maintenant Cameo contre OpenAI

Le message est clair : même les GAFAM ne sont plus à l’abri quand il s’agit de propriété intellectuelle.

Et maintenant ? Les scénarios possibles

Plusieurs issues sont envisageables pour la suite de cette saga :

  • Règlement à l’amiable : OpenAI renomme la fonctionnalité (Selfie ? Avatar ? Portrait ?) et verse une compensation discrète
  • Victoire de Cameo : interdiction définitive et dommages et intérêts
  • Victoire d’OpenAI : la cour juge le terme trop générique pour être protégé dans ce contexte
  • Appel : l’affaire monte jusqu’à la Cour suprême (scénario extrême mais pas impossible)

Ce qui est certain, c’est que l’issue de ce litige fera jurisprudence pour tous les acteurs de l’IA générative.

Leçons pour les entrepreneurs et les géants de la tech

Cette histoire est riche d’enseignements, aussi bien pour les startups que pour les licornes établies :

Pour les petites structures : oui, il est possible de tenir tête aux géants quand on a protégé ses actifs immatériels. Un bon trademark peut valoir plus que des millions en levée de fonds.

Pour les grandes entreprises : l’époque où l’on pouvait lancer des produits sans vérifier les marques déposées est révolue. Le « move fast and break things » a ses limites quand il s’agit de propriété intellectuelle.

« Cette affaire montre que même OpenAI doit respecter les règles que les petites entreprises ont mis des années à construire »

Un avocat spécialisé en propriété intellectuelle, sous couvert d’anonymat

Au-delà du cas particulier, c’est toute la question de la maturité du secteur de l’IA qui est posée. À mesure que les applications sortent des laboratoires pour toucher des centaines de millions d’utilisateurs, les contraintes juridiques classiques (droit d’auteur, marques, vie privée) rattrapent les innovateurs.

L’ère de l’IA irresponsable touche peut-être à sa fin. Et parfois, c’est une startup de vidéos de célébrités qui rappelle aux géants qu’on ne joue plus dans la cour des grands sans respecter certaines règles élémentaires.

Affaire à suivre donc, avec une audience prévue le 19 décembre 2025 qui pourrait bien marquer un tournant dans les relations entre startups établies et nouveaux géants de l’intelligence artificielle.

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Steven Soarez
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