Imaginez : vous roulez sur l’autoroute néerlandaise, les mains posées sur vos genoux, et votre Tesla prend toutes les décisions toute seule. Ce rêve, Elon Musk le vend depuis des années. Et pendant un court week-end de novembre 2025, des milliers de propriétaires européens y ont vraiment cru.
Puis, patatras. Le régulateur néerlandais remet les pieds sur terre – et les mains sur le volant.
Quand Tesla célèbre trop vite une victoire européenne
Le samedi 23 novembre 2025, Tesla publie un message qui fait bondir les communautés d’actionnaires et de fans : le RDW, l’autorité néerlandaise en charge de l’homologation des véhicules, s’engagerait à approuver le Full Self-Driving Supervised dès février 2026. Un pas de géant vers le déploiement à grande échelle en Europe.
Le message invite même les fans à contacter directement le régulateur pour… le remercier. Stratégie classique d’Elon Musk : transformer la pression communautaire en levier.
« RDW has committed to granting Netherlands National approval in February 2026. Please contact them via link below to express your excitement & thank them… »
Tesla Europe (post supprimé depuis)
Moins de 48 heures plus tard, le RDW publie un communiqué glacial : non, il n’y a aucun engagement ferme. Tesla viendra simplement démontrer son système en février. La décision finale ? Rien n’est moins sûr.
Pourquoi les Pays-Bas sont-ils la porte d’entrée de Tesla en Europe ?
Dans l’Union européenne, il existe deux grandes voies pour homologuer un système de conduite autonome :
- L’approbation nationale dans un État membre, puis une reconnaissance mutuelle dans les autres pays (plus rapide mais limitée).
- L’homologation européenne complète via le règlement UNECE ou le futur règlement EU sur les véhicules automatisés (plus long, plus strict).
Les Pays-Bas ont toujours été un terrain favorable aux expérimentations. Le RDW a déjà accordé des autorisations à Waymo (pour des tests sans conducteur) et à Mobileye. Tesla espérait donc passer par cette « porte dérobée » néerlandaise avant d’étendre progressivement son FSD à toute l’Europe.
Mauvais calcul. Le régulateur néerlandais a rappelé une vérité simple : la sécurité prime sur la vitesse de déploiement.
Full Self-Driving : toujours « Supervised » et toujours controversé
Il faut le rappeler sans cesse : le FSD de Tesla n’est pas une voiture 100 % autonome. C’est un système de niveau 2+ (selon la classification SAE) qui exige une attention constante du conducteur. Les mains doivent rester près du volant, les yeux sur la route.
Malgré cela, des milliers de vidéos montrent des utilisateurs lisant leur téléphone ou dormant carrément. Aux États-Unis, la NHTSA a ouvert plus d’une dizaine d’enquêtes sur des accidents mortels impliquant Autopilot ou FSD.
En Europe, la philosophie est radicalement différente. L’UNECE (Commission économique pour l’Europe des Nations Unies) impose depuis 2022 que tout système de niveau 3 ou supérieur dispose :
- D’un enregistrement des données complet (black box).
- D’un système de surveillance du conducteur infaillible.
- D’une validation sur des scénarios critiques définis (le fameux SOTIF – Safety Of The Intended Functionality).
Or Tesla refuse toujours de qualifier son FSD comme niveau 3. L’entreprise préfère rester dans la zone grise du niveau 2 « amélioré », ce qui lui évite théoriquement certaines contraintes… mais lui ferme aussi la porte à une utilisation mains-libres légale en Europe.
L’Europe face au dilemme de la voiture autonome
Le Vieux Continent est coincé entre deux feux :
- D’un côté, la volonté politique de ne pas se faire distancer par les États-Unis et surtout la Chine sur la mobilité du futur.
- De l’autre, une culture de la sécurité routière extrêmement stricte et une méfiance viscérale envers les technologies « qui décident à la place de l’humain ».
Le résultat ? Des règles parmi les plus sévères du monde. Mercedes a bien obtenu en 2021 l’homologation de son Drive Pilot (véritable niveau 3) en Allemagne… mais uniquement jusqu’à 60 km/h sur autoroute et avec une responsabilité transférée au constructeur en cas d’accident. BMW et Volvo préparent aussi leurs systèmes, mais avec une prudence extrême.
Tesla, elle, veut aller vite et partout. Et refuse de limiter son système à des vitesses ou des conditions spécifiques.
Que s’est-il vraiment passé entre Tesla et le RDW ?
Plusieurs sources concordantes (dont Bloomberg) indiquent que Tesla a interprété de manière très optimiste une réunion technique avec le régulateur. Le RDW aurait simplement indiqué qu’un processus d’évaluation pourrait aboutir en février 2026… si tout se passe bien.
Mais entre « pourrait » et « s’engage à », il y a un océan réglementaire.
« Pour le RDW, la sécurité (routière) est primordiale. »
Communiqué officiel RDW, 24 novembre 2025
Traduction : tant que Tesla n’aura pas fourni des preuves irréfutables de sécurité dans tous les scénarios européens (pluie battante, brouillard côtier, ronds-points anarchiques, pistes cyclables partout), aucune approbation ne sera donnée.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
- Le scénario optimiste (peu probable)
Tesla livre des données convaincantes d’ici février, le RDW approuve une version limitée du FSD (par exemple sur autoroute uniquement), puis l’Europe suit progressivement. - Le scénario réaliste
Le RDW refuse ou impose des restrictions si sévères que le FSD reste cantonné à un simple « Autopilot amélioré ». Tesla conteste, fait du lobbying, gagne du temps… mais pas d’utilisation mains-libres avant 2027-2028. - Le scénario cauchemar pour Tesla
Refus net. L’Europe impose une nouvelle réglementation (le futur « Automated Driving Systems Regulation ») qui oblige Tesla à repasser complètement par la case homologation européenne, avec transfert de responsabilité. Adieu le modèle économique actuel du FSD à 8 000 $ en option.
Ce que cela dit de l’avenir de la voiture autonome
Cet épisode néerlandais n’est qu’un symptôme. Partout dans le monde, les régulateurs reprennent la main face à des entreprises qui ont promis la lune trop tôt.
En Chine, Baidu et Pony.ai font rouler des robotaxis sans chauffeur à Pékin et Guangzhou, mais dans des zones ultra-contrôlées. Aux États-Unis, Waymo étend doucement sa flotte, mais Cruise a dû rappeler tous ses véhicules après un accident grave.
L’Europe, elle, a choisi une troisième voie : lenteur, rigueur, et priorité absolue à la sécurité. Quitte à freiner l’innovation.
Pour les startups européennes de la conduite autonome (Oxbotica, EasyMile, Navya, etc.), c’est plutôt une bonne nouvelle : elles jouent sur le même terrain réglementaire strict et n’auront pas à affronter un Tesla débridé dès demain matin.
Conclusion : la patience ou la rupture
Tesla a deux choix :
- Accepter les règles européennes, ralentir, fournir des montagnes de données et peut-être revoir son modèle économique.
- Ou continuer à forcer la main, en pariant que la pression des consommateurs et des actionnaires finira par faire plier les régulateurs.
L’histoire nous dira bientôt laquelle de ces stratégies l’emportera. Mais une chose est sûre : en Europe, la révolution autonome ne se fera pas au rythme californien.
Et vous, pensez-vous que Tesla obtiendra un jour le droit de lâcher le volant sur nos routes ? La réponse, dans les prochains mois… ou les prochaines années.