Imaginez un fondateur de startup en hoodie, habitué aux pitchs frénétiques devant des investisseurs, apprendre soudainement à tenir une fourchette à caviar sans trembler. Cette scène, digne d’un film satirique sur la Silicon Valley, s’est réellement déroulée au Four Seasons de San Francisco. Slow Ventures, fonds d’investissement connu pour ses paris audacieux, a organisé une « finishing school » pour enseigner l’art du savoir-vivre à une cinquantaine de jeunes entrepreneurs.

Quand la Silicon Valley se met à l’école des bonnes manières

Ce n’est pas une blague. L’événement, gratuit mais sur invitation, a attiré plusieurs centaines de candidatures. Seuls cinquante fondateurs, majoritairement masculins, ont été sélectionnés pour trois heures intensives d’apprentissage du raffinement. Poignée de main parfaite, discours en public, décoration de bureau, défilé de mode adapté aux occasions professionnelles… Le programme ressemble à un stage de transformation sociale pour geeks.

Sam Lessin, general partner chez Slow Ventures, a justifié cette initiative par un constat brutal : la tech n’est plus perçante et mignonne. Elle bouleverse des industries entières, supprime des emplois, modifie des écosystèmes. Face à cette menace perçue, les fondateurs doivent projeter respect et maîtrise, plutôt que disruption arrogante.

Des origines humoristiques à une réalité sérieuse

L’idée est née comme une plaisanterie lors du Demo Day de Y Combinator. Slow Ventures a sondé l’intérêt des fondateurs pour un atelier d’étiquette. À leur surprise, les retours ont été enthousiastes. Ce qui devait rester une boutade s’est transformé en événement concret, organisé dans l’un des hôtels les plus prestigieux de la ville.

Le contraste est saisissant : des entrepreneurs habitués à coder toute la nuit apprennent à choisir le bon costume pour un dîner d’affaires. Un participant anonyme confie au San Francisco Standard qu’il voulait simplement être « moins feral » – moins sauvage, plus civilisé dans ses interactions professionnelles.

La tech prend des emplois et change les environnements. Tout le monde se sent menacé, ce qui signifie que vous devez dire : « Je suis là et respectueux », plutôt que « Je suis là et intentionnellement irrespectueux ».

Sam Lessin, General Partner chez Slow Ventures

Un programme complet pour transformer l’image des fondateurs

Le contenu de ces trois heures mérite d’être détaillé. L’atelier n’a rien laissé au hasard dans la construction d’une image professionnelle irréprochable.

  • La poignée de main parfaite : pression, durée, contact visuel, angle du corps. Chaque détail compte pour projeter confiance sans domination.
  • Le discours en public : techniques de respiration, modulation de la voix, gestion du stress face à un board ou des investisseurs.
  • La décoration de bureau : comment un espace de travail reflète (ou trahit) votre sérieux professionnel.
  • Le défilé de mode : tenues adaptées à chaque contexte – pitch, dîner investisseur, conférence de presse.
  • Leçon finale caviar et vin : reconnaître la qualité, servir correctement, éviter les faux pas gastronomiques.

Cette dernière partie, souvent perçue comme élitiste, illustre parfaitement l’objectif : maîtriser les codes des cercles influents où se prennent les grandes décisions financières.

La réaction controversée de Garry Tan et Y Combinator

Tous n’ont pas applaudi l’initiative. Garry Tan, CEO de Y Combinator, a explicitement déconseillé à ses fondateurs d’y participer. Sur X, il a clararé : « Vous n’avez pas besoin d’une finishing school. Vous avez besoin de construire quelque chose de grand, de rendre vos utilisateurs heureux, et d’avoir du craftsmanship. »

Cette prise de position révèle une fracture philosophique dans l’écosystème startup. D’un côté, ceux qui pensent que le produit prime sur l’apparence. De l’autre, ceux qui estiment que dans un monde où la tech est sous surveillance, l’image devient un actif stratégique.

Tan a toutefois nuancé ses propos en précisant qu’il n’avait « aucun problème avec Slow Ventures ». La polémique reste symbolique d’un débat plus large sur l’évolution de la culture entrepreneuriale.

Pourquoi le savoir-vivre devient un avantage compétitif

Derrière l’anecdote se cache une réalité économique. Les fondateurs ne pitchent plus seulement à des venture capitalists en sweatshirt. Ils rencontrent des régulateurs, des partenaires institutionnels, des médias traditionnels. Chaque interaction peut faire basculer un financement ou une réglementation.

Une étude de Harvard Business Review montre que 85 % des succès professionnels dépendent des soft skills. Dans la tech, où les compétences techniques sont souvent équivalentes entre concurrents, la différenciation passe par la capacité à naviguer dans des environnements complexes.

CompétenceImpact sur le fundraisingImpact sur les partenariats
Maîtrise techniqueÉlevéMoyen
Communication claireÉlevéÉlevé
Savoir-vivre socialMoyenÉlevé
Réseautage éliteÉlevéÉlevé

Ce tableau illustre pourquoi des fonds comme Slow Ventures investissent dans la formation humaine de leurs porteurs de projets.

Slow Ventures : un fonds qui mise sur l’humain

Créé en 2011 par d’anciens cadres de Facebook, Slow Ventures s’est distingué par une approche patiente du capital-risque. Contrairement aux fonds qui misent sur la croissance explosive, ils privilégient les fondateurs capables de construire durablement.

Cette finishing school s’inscrit dans une stratégie plus large de développement des entrepreneurs. Le fonds organise régulièrement des retraites, des sessions de coaching exécutif, des introductions ciblées. L’objectif : transformer de bons technologistes en leaders complets.

Parmi leurs succès, on compte Slack, Airtable, ou encore Solana. Des entreprises qui ont su passer du statut de startup technique à celui de leader sectoriel, en partie grâce à la qualité de leurs interactions avec l’écosystème.

Les critiques d’un événement perçu comme élitiste

Tous ne voient pas cette initiative d’un bon œil. Certains y décèlent une dérive vers plus d’élitisme dans une industrie déjà critiquée pour son entre-soi. Organiser un atelier sur le caviar dans un hôtel cinq étoiles, alors que de nombreux fondateurs luttent pour payer leurs serveurs, peut sembler déconnecté.

La surreprésentation masculine parmi les participants pose aussi question. Sur cinquante sélectionnés, la grande majorité étaient des hommes. Cela reflète-t-il un biais dans le choix des projets par Slow Ventures, ou simplement la démographie des candidatures reçues ?

Ces critiques soulignent un paradoxe : enseigner le raffinement pour mieux intégrer les cercles de pouvoir risque de renforcer les barrières d’entrée plutôt que de les abaisser.

Comment reproduire cette formation sans budget VC

Tous les fondateurs n’ont pas accès à ce type d’événement. Voici des alternatives accessibles pour développer son savoir-vivre professionnel :

  • Lire The Charisma Myth d’Olivia Fox Cabane pour maîtriser la présence exécutive.
  • S’inscrire à des cours Toastmasters pour perfectionner le public speaking.
  • Observer les codes vestimentaires lors d’événements networking et s’adapter progressivement.
  • Demander un feedback honnête à des mentors sur ses interactions sociales.
  • Participer à des dîners formels organisés par des associations professionnelles.

Ces pratiques, combinées à une réflexion continue sur son image, peuvent produire des résultats similaires sans passer par le Four Seasons.

L’avenir du savoir-vivre dans la tech

Cet événement de Slow Ventures n’est probablement que le début. À mesure que la tech mature et fait face à plus de régulation, les compétences sociales deviendront un différenciateur clé. On peut imaginer des programmes plus structurés, intégrés aux accélérateurs, enseignés par d’anciens diplomates ou dirigeants de Fortune 500.

La vraie question reste : jusqu’où faut-il aller dans l’apprentissage des codes établis ? Faut-il devenir un parfait gentleman pour réussir, ou peut-on conserver une part d’authenticité brute qui a fait le succès de la Silicon Valley ?

Sam Lessin semble trancher : dans un monde qui craint la tech, mieux vaut être perçu comme un partenaire respectueux qu’un perturbateur arrogant. L’avenir dira si cette stratégie paie en termes de levées de fonds et de partenariats stratégiques.

En attendant, la finishing school de Slow Ventures aura au moins réussi une chose : faire parler d’elle. Et dans l’économie de l’attention, c’est déjà une forme de succès.

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Steven Soarez
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